Secrets et réalité des cépages rouges emblématiques de Bourgogne

Panorama des cépages rouges : une identité façonnée par l’histoire

Sur les 28 841 hectares de vignes plantées en Bourgogne en 2022 (source : BIVB, Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne), un peu moins du tiers est dédié aux cépages rouges. Ce territoire, mondialement reconnu pour l’expression de ses grands vins, doit pourtant son identité à un nombre particulièrement restreint de variétés. Explorer les rouges les plus plantés, c’est comprendre la précision que la Bourgogne a su cultiver au fil des siècles, entre tradition, mutation ampélographique et émergences contemporaines.

Le pinot noir : le souverain indétrônable

Le pinot noir occupe une place prépondérante en Bourgogne, tant en surface qu’au regard de la notoriété. Ce cépage couvre 10 736 hectares, soit plus de 80 % des cépages rouges bourguignons (Source : BIVB, 2022). Sa présence marque les deux tiers des Grands Crus rouges et façonne le profil de la quasi-totalité des vins rouges d’appellation régionale, communale, Premier cru ou Grand cru.

Histoire, nuances et terroir

  • Origines anciennes : Le pinot noir est attesté dans la région depuis au moins le XIVème siècle, époque où Philippe le Hardi (duc de Bourgogne) ordonne en 1395 l’arrachage du gamay au profit de ce “noble plant”.
  • Adaptation fine au terroir : Le pinot noir manifeste une grande sensibilité aux variations de sols et de climats, expliquant l’incroyable diversité des vins bourguignons malgré un cépage dominant.
  • Expression aromatique : Il offre un éventail riche allant des fruits rouges frais (cerise, framboise) quand le vin est jeune, jusqu’aux notes plus évoluées de sous-bois, cuir ou épices avec l’âge.
  • Concentration géographique : Pratiquement omniprésent sur la Côte de Nuits et la Côte de Beaune, il est aussi cultivé dans le Châtillonnais, le Couchois et le Tonnerrois.

Gamay : l’autre visage du rouge bourguignon

Souvent éclipsé par son illustre voisin, le gamay occupe néanmoins la deuxième place en surface plantée, avec environ 1 650 hectares en Bourgogne (source : Agreste, ministère de l’Agriculture ; chiffres 2022). Sa répartition géographique diffère radicalement de celle du pinot noir, créant une mosaïque de styles.

  • Spécificités d’implantation : Le gamay prospère majoritairement au sud de la Saône-et-Loire, notamment dans la région du Mâconnais et du Couchois.
  • Rôle dans les appellations : Il est rarement vinifié seul. Son principal domaine d’expression reste l’appellation régionale Bourgogne Passe-tout-grains, une rareté en France car elle oblige l’assemblage de pinot noir et de gamay, avec un minimum de 30 % de pinot (Source : cahier des charges de l’appellation).
  • Typicité gustative : Les vins issus du gamay expriment une belle fraîcheur, des arômes de cassis, de fraise, une légère effervescence dans la jeunesse, et s’apprécient dans leur primeur.
  • Évolutions et résilience : À partir du XXème siècle, le gamay a peu à peu cédé du terrain au pinot noir, principalement du fait de la montée en gamme recherchée par de nombreux vignerons. Toutefois, il connaît aujourd’hui un regain d’intérêt dans certaines parcelles où il démontre une résilience intéressante face au réchauffement climatique.

Les autres cépages rouges présents en Bourgogne

Si le pinot noir et le gamay dominent, d‘autres variétés subsistent, parfois à l’état de vestiges, parfois au service de la biodiversité des vignobles.

  • César : Cépage très marginal (moins de 50 hectares, essentiellement à Irancy dans l’Yonne – Source : Vitisphere), le césar est souvent assemblé au pinot noir dans l’appellation Irancy. Il lui confère structure, couleur intense et un caractère tannique accentué.
  • Pinot liébault : Variante clonale du pinot noir, le liébault est utilisé ponctuellement en assemblage pour apporter de la souplesse. Sa présence est aujourd’hui très discrète.
  • Tressot : Cépage très ancien, parfois retrouvé dans quelques parcelles du nord de la Bourgogne. Son usage est essentiellement expérimental ou confidentiel.
  • Autres isolats : On recense également le pinot gris (tokay), autorisé dans certaines appellations pour la production de vins rosés, mais sa contribution à la production de vins rouges reste très marginale.

Répartition géographique des cépages rouges en Bourgogne

Zone Cépage(s) Principal(aux) Surface approximative (ha) Appellations Notables
Côte de Nuits Pinot noir env. 2 500 Gevrey-Chambertin, Nuits-Saint-Georges, Vosne-Romanée
Côte de Beaune Pinot noir env. 2 200 Beaune, Pommard, Volnay
Côte Chalonnaise Pinot noir (majoritaire), gamay env. 1 800 Mercurey, Givry, Montagny (un peu de gamay)
Mâconnais Gamay (majoritaire), pinot noir 1 200 Mâcon, Saint-Amour, Bourgogne Passe-tout-grains
Auxerrois (Chablis, Irancy) Pinot noir, césar 130 Irancy, Bourgogne Côtes d'Auxerre

L’impact du choix des cépages sur l’identité des vins bourguignons

Le choix de l’encépagement conditionne non seulement le style et la réputation des vins, mais aussi la gestion du vignoble face aux enjeux climatiques. La Bourgogne, en perpétuelle quête d’excellence et de singularité, privilégie la monovarietalité, notamment sur ses appellations les plus renommées. Pourtant, les cépages oubliés ou moins plantés – comme le césar ou le tressot – témoignent de la diversité ampélographique historique de la région, aujourd’hui mise en valeur à travers des micro-cuvées ou dans le cadre de recherches sur l’adaptation climatique.

Évolution récente et enjeux climatiques

  • Adaptation au changement climatique : Le pinot noir reste fragile face aux étés caniculaires. Certains vignerons réévaluent les choix d’orientation de parcelles ou s’intéressent à la diversification parcellaire via le retour de cépages historiques.
  • Maintien de la typicité de la Bourgogne : Malgré les pressions, la Bourgogne ne s’est pas lancée, à la différence d’autres régions, dans une diversification massive de ses cépages rouges. La réglementation et l’attachement à la tradition expliquent en grande partie cette stabilité.

Anecdotes chiffrées et faits remarquables

  • Surface mondiale du pinot noir : Sur environ 115 000 hectares de pinot noir plantés dans le monde (OIV 2022), la Bourgogne n’en représente qu’un peu moins de 10 %, mais produit une part majeure des vins les plus recherchés du globe !
  • L’un des grands paradoxes bourguignons : À Volnay et Pommard, 100 % du vignoble est planté en pinot noir, alors qu’à quelques dizaines de kilomètres, à Mâcon, le gamay peut représenter plus de 90 % de la production rouge (BIVB, 2022).
  • Des rendements maîtrisés : Pour le pinot noir, les rendements effectifs oscillent de 30 à 45 hl/ha sur les Grands Crus, renforçant la rareté et la valeur de ces cuvées (Source : INAO).
  • Une France ultra-dominée par les rouges de Bourgogne… mais seulement pour le pinot noir ! : Hors pinot noir, les autres rouges bourguignons restent marginaux face à l’hégémonie de cépages du sud comme le grenache ou la syrah.

Le mot des experts : Bourgogne, vigne rouge, identité forte

La Bourgogne, loin de l’éclectisme ampélographique de certaines régions, concentre sa renommée sur l’interprétation magistrale d’un cépage roi : le pinot noir. Le gamay, plus discret, profite de sa capacité d’adaptation, gardant une dimension populaire et festive. Les quelques cépages oubliés, à l’instar du césar, participent à la mémoire vivante du vignoble. Si la région s’ouvre graduellement à une réflexion sur la diversification pour affronter les défis à venir, ses rouges continuent aujourd’hui d’inspirer respect et fascination par leur constance et par la richesse de leurs nuances terriennes.

Sources principales : BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne), INAO, Agreste, OIV, Vitisphere, FranceAgriMer, Cité des Climats et vins de Bourgogne.

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