À la redécouverte des cépages rouges oubliés : patrimoine, diversité et avenir de la viticulture

Pourquoi les cépages rouges oubliés reviennent-ils sur le devant de la scène ?

Au fil des siècles, des centaines de cépages rouges ont été délaissés ou même totalement disparus de certains vignobles au profit d’autres variétés plus productives, plus résistantes, ou jugées mieux adaptées au goût du marché. Pourtant, un mouvement d’intérêt croissant pour la diversité génétique, le respect de l’identité locale et la recherche de nouvelles saveurs relance aujourd’hui la culture de ces cépages oubliés. À l’heure où le changement climatique interroge la résilience du vignoble, ces variétés anciennes offrent des perspectives précieuses.

  • Biodiversité : Moins de dix cépages couvrent aujourd’hui près de 75% du vignoble mondial selon l’OIV (source : OIV, 2017). Pourtant, la France comptait plus de 1 000 cépages différents à la fin du XIXe siècle.
  • Adaptation climatique : Certains vieux cépages démontrent une capacité d’adaptation aux sols secs ou aux maladies, souvent supérieure aux variétés stars du XXe siècle.
  • Valeur patrimoniale et gustative : La complexité aromatique et l’originalité de ces cépages redonnent aux terroirs leur éclat et leur caractère.

De l’Auvergne au Bordelais, du Sud-Ouest à la Corse, de nombreux vignerons remettent à l’honneur cet héritage génétique. Focus sur plusieurs de ces cépages rouges : leur histoire, leurs qualités, et les enjeux de leur renaissance.

Tour d’horizon de quelques cépages rouges oubliés

Trousseau : le secret du Jura

Peu connu hors des frontières jurassiennes, le Trousseau fait partie des principales variétés de cette région. Pourtant, sa surface n’atteint aujourd’hui que 200 hectares en France, alors qu'il en couvrait plus de 2 500 au XIXe siècle (source : Vitis International Variety Catalogue). Séduisant par sa robe intense et ses notes épicées de fruits rouges, il reprend de la vigueur grâce à l’intérêt croissant pour les vins légers et de caractère. À noter : il s’adapte parfaitement aux climats frais à modérés, offrant une bonne résistance à la sécheresse.

Pineau d’Aunis : la Loire singulière

Natif du Val de Loire, le Pineau d’Aunis occupait jadis plus de 5 000 hectares en France au siècle dernier, contre 415 hectares aujourd’hui (source : FranceAgriMer, 2022). Sa réputation, ternie au XXe siècle, se reconstruit autour de ses qualités épicées et poivrées, très recherchées sur les cuvées de caractère. Il démontre une forte capacité de résilience dans les terroirs venteux et peu fertiles.

Fer Servadou (ou Braucol) : le rouge du Sud-Ouest

Cultivé en Aveyron, Gaillac, Marcillac ou Madiran, le Fer Servadou totalise moins de 1 200 hectares. Il offre des arômes uniques de réglisse, de fruits noirs, voire de cuir. Son nom “fer” viendrait de la solidité de ses rameaux, utiles pour résister aux vents d’Autan. Avec la redécouverte des vins typés Sud-Ouest, il revient doucement sur le devant de la scène.

Persan : un retour entre Savoie et piémont rhodanien

Longtemps oublié, ce cépage revient en Savoie, où il frôlait l’extinction, et en Isère. Au XIXe siècle, les surfaces atteignaient près de 1 000 hectares ; aujourd’hui, elles peinent à dépasser vingt. Les vins issus de Persan dévoilent fraîcheur, belle acidité, épices douces et fruits rouges. Son nom proviendrait de “personne”, en référence à la difficulté de le reconnaître parmi les autres cépages.

Romorantin : l'expression ligérienne atypique

Si le Romorantin est aujourd'hui principalement blanc, certaines micro-vinifications montrent le potentiel de mutations rouges ou rosées oubliées, héritage d’une diversité génétique passée (source : Vignerons indépendants du Loir-et-Cher). L’étude de ces mutations révèle toute la complexité de la conservation de la mémoire viticole.

Mondeuse noire : l'atout savoyard

Emblème de la Savoie, la Mondeuse noire a bien failli disparaître au XXe siècle lors de la crise du phylloxera. Aujourd’hui préservée sur un peu plus de 300 hectares, elle plaît par sa vivacité, ses notes de violette et de poivre noir. Elle supporte bien l’altitude et apporte structure et longévité au vin.

Autres cépages à suivre de près

  • Abouriou : Cépage du Lot-et-Garonne, robuste et colorant, résistant à de nombreuses maladies.
  • Téoulier : Ancienne variété provençale adaptée aux conditions arides, rare mais en réintroduction.
  • Prunelard : Ancêtre du Malbec, il séduit grâce à sa finesse et ses notes de fruits compotés dans le Tarn.
  • Altesse noire : Variété savoyarde rare, vinifiant des rouges subtils, autrefois très présente dans les vallées alpines.

Pourquoi ces cépages ont-ils été oubliés ?

  • Mises en conformité règlementaires : Les lois viticoles issues de la crise du phylloxera (fin XIXe siècle) puis l’essor des Appellations d’Origine Contrôlée (AOC) dès 1935 ont souvent imposé des listes restrictives de cépages, excluant d’anciennes variétés pourtant historiquement cultivées.
  • Recherche de rendement : Après les guerres et la crise du vignoble, la sélection s’est portée sur les cépages très productifs et adaptés à la mécanisation. Selon l’INAO, les surfaces de Carignan, par exemple, sont passées de 167 000 ha en 1988 à environ 44 000 ha en 2022, alors que d’autres cépages moins productifs ont disparu.
  • Effet de mode et uniformisation : La notoriété mondiale de certains cépages comme le Merlot, le Cabernet Sauvignon ou la Syrah a favorisé leur expansion, souvent au détriment de la diversité locale.

La perte de diversité génétique fut telle qu’en 1958, l’Office International de la Vigne signalait que près des trois quarts des vignobles français étaient plantés de moins de 20 cépages principaux.

Un renouveau favorisé par plusieurs facteurs

  • Enjeux environnementaux : D’anciens cépages moins sensibles aux maladies réduisent le recours aux traitements phytosanitaires, intègrant la logique de viticulture durable.
  • Recherche d’identité : Nombre de domaines préfèrent aujourd’hui proposer une gamme de vins originaux, où la rareté du cépage complète l’expression du terroir.
  • Consommation nouvelle : Les consommateurs s’ouvrent à la découverte. Selon une étude réalisée par Wine Intelligence pour Vinexpo en 2021, 44 % des consommateurs français se montrent “intéressés par l’achat de vins issus de cépages rares ou anciens”.
  • Projet de sauvegarde : L’INRAE, l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) et Slow Food œuvrent activement à la recensement des variétés anciennes, la multiplication de plants (par ex, conservatoire de Vassal) et la replantation dans leurs terroirs d’origine.

Quels atouts pour le vignoble français ?

  1. Résilience climatique : De nombreux cépages anciens sont naturellement tolérants au stress hydrique (Téoulier, Persan) ou aux chaleurs extrêmes.
  2. Adaptation aux sols pauvres : Prunelard, Fer Servadou ou Pineau d’Aunis supportent les sols pauvres, pierreux ou exposés, là où d’autres échouent.
  3. Potentiel aromatique : Ces variétés offrent un spectre de saveurs élargi, des épices de la Mondeuse aux fruits compotés du Prunelard, à la minéralité du Persan.

Par exemple, dans le Sud-Ouest, des analyses menées par l’IFV démontrent que le Prunelard vinifié seul conserve un niveau d’acidité stable y compris lors de fortes chaleurs, alors que le Merlot montre une perte marquante de fraîcheur (source : IFV, 2023).

Zoom sur quelques initiatives et vins à découvrir

  • Domaine Plageoles (Gaillac) – Prunelard : Un des rares à proposer un Prunelard 100 % pur, sur des sols argilo-calcaires anciens.
  • Mas del Périé – Jurançon noir : Mise en avant de ce cépage oublié, cousin du Malbec, pour des cuvées hautes en couleur.
  • Domaine Giachino (Isère) – Persan : Travail d’orfèvre autour de ce cépage rare, avec plus de 20 ans de replantations.
  • Domaine Ganevat (Jura) – Trousseau : Expression moderne du Trousseau, en bio et sans soufre ajouté.

De nombreux autres domaines (Les Vignes d’Olivier, Château les Croisille, Domaine Henri Milan…) expérimentent ou ressuscitent d’antiques variétés.

Ouverture : Entre mémoire, terroir et innovation

Redécouvrir les cépages rouges oubliés, c’est renouer avec une histoire viticole foisonnante, garantir la résilience face aux déséquilibres environnementaux et offrir un nouvel horizon de saveurs aux amateurs comme aux professionnels. Ce mouvement dynamique, porté par des vignerons visionnaires, invite à explorer les terroirs autrement et à s’ouvrir à des vins au style singulier. Il interroge la définition même d’un “grand vin” à l’ère de la diversité. Pour les curieux et les passionnés, une bouteille de Mondeuse, de Pineau d’Aunis ou de Persan s’impose comme une invitation au voyage au cœur des racines du vignoble français.

Pour aller plus loin :

  • OIV : Rapport statistique annuel sur la vigne et le vin, 2017 et 2022.
  • IFV – Institut français de la vigne et du vin ; publications et fiches techniques.
  • FranceAgriMer, France - Les cépages du vignoble, statistiques 2022.
  • Conservatoire Ampélographique de Vassal/Montpellier (INRAE).
  • Wine Intelligence pour Vinexpo, étude consommateurs, 2021.

Pour aller plus loin