À la découverte des cépages oblongs ancestraux toujours présents dans nos vignobles

Un héritage à part : ce qui fait la spécificité des raisins oblongs anciens

La forme oblongue d’un raisin, allongée et parfois fuselée, n’est pas anodine. Elle oriente l’utilisation du cépage (vin, raisin de table, séchage, etc.) et marque souvent une résistance naturelle accrue à certaines maladies. Dans le monde viti-vinicole, on distingue les raisins de cuve des raisins de table, les seconds ayant parfois été sélectionnés pour leur aspect, ce qui a favorisé dans le passé la multiplication de variétés oblongues, réputées esthétiques et savoureuses.

  • Mieux résister au Botrytis : Certains croisements anciens privilégiaient la forme oblongue, car elle limite par capillarité la rétention d’humidité entre baies, freinant le développement du fameux "pourriture grise" (source : INRAE).
  • Utilisations mixtes : Plusieurs variétés oblongues anciennes sont des cépages polyvalents, autorisant des usages aussi bien vinicoles que de consommation en frais ou séché (dattes de raisins).
  • Symbolisme local : Leur maintien est souvent lié à une forte identité territoriale, certains villages conservant des plants historiques dans leur ampelothèque ou leurs jardins familiaux (FranceAgriMer, 2021).

Panorama des variétés anciennes oblongues majeures encore cultivées

1. Chasselas doré « Cornichon »

Le chasselas reste le roi des raisins de table en France, mais l’une de ses variétés, le Chasselas cornichon doré, intrigue par la longueur surprenante de ses baies (parfois jusqu’à 3 cm de long). Déjà mentionné dans les traités d’ampélographie de Viala et Vermorel (1901), il est particulièrement apprécié dans la vallée de la Loire et en Suisse. Son emploi se cantonne au raisin de bouche, car la peau épaisse rend son vin rustique. Aujourd’hui encore, quelques centaines d’hectares en produisent, surtout dans la région de Moissac et aux environs du lac Léman. Source : Viala & Vermorel, Histoire et description des cépages, 1901.

2. Dattier de Beyrouth

Raisin de table par excellence, le Dattier de Beyrouth figure parmi les cépages oblongs à la longévité exceptionnelle. Introduit depuis le Proche-Orient vers la France au XIX siècle, ce cépage se caractérise par la taille allongée de ses baies (jusqu’à 5 cm en climat chaud). Il conserve aujourd’hui une présence anecdotique mais valeureuse dans le Sud de la France, notamment en Provence, y compris en culture privée. Il est également adapté au séchage, où il rappelle la douceur du raisin sec anatolien. Source : Le Guide des cépages, Pierre Galet, éd. Hachette, 2000.

3. Muscat d’Alexandrie

Parfois ignoré dans la liste des variétés anciennes, le Muscat d’Alexandrie possède pourtant une silhouette oblongue et une histoire millénaire. Mentionné dans la vallée du Nil dans l’Antiquité (source : INAO), il se distingue par des grappes massives (jusqu’à 800g chacune) et ses baies jaune-vert allongées. En France, il demeure principalement dans les Pyrénées-Orientales (demi-sec ou vin doux naturel de Rivesaltes) et le vignoble corse (Muscat du Cap Corse). Internationalement, il est encore massivement cultivé en Espagne sous le nom de Moscatel et en Afrique du Sud. Surface mondiale estimée : environ 200 000 hectares selon l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, 2022).

4. Corinthe noire (ou Corinth noir, Zante currant)

Petit cépage à grains oblongs très serrés, la Corinthe noire n’est plus guère vinifiée, mais elle reste la base historique du raisin sec « corinthe » (notamment en Grèce, où elle est cultivée dans la région d’Achaïe depuis l’Antiquité). Son maintien en France est quasi exclusivement cantonné à de minuscules surfaces conservatoires, mais la Grèce compte encore 15 000 hectares exploités, l’économie locale du Péloponnèse reposant partiellement sur cette production exportée partout en Europe. Source : OIV, Statistiques sur les variétés traditionnelles méditerranéennes, 2022.

5. Damas noir et ses dérivés

Le Damas noir, très ancien cépage originaire du Moyen-Orient, a essaimé dans plusieurs régions méditerranéennes, allant jusqu’en Italie du Sud. Allongé et juteux, ce cépage fut longtemps consommé en frais ou séché. Si sa culture a décliné sous la pression du phylloxéra, quelques vignes anciennes persistent en Provence et dans des jardins d’amateurs. Certains croisements locaux issus du Damas sont également recensés en Sicile sous l’appellation « Damaschino ». Source : Ampelography, Pierre Galet, éd. Oenoplurimedia, 2015.

6. Pizzutello bianco

Principalement en Italie centrale et méridionale, le Pizzutello bianco (ou Cornichon blanc en France) impressionne par la forme pointue, presque en bec d’aigle, de ses baies. Cépage très vigoureux, il fut introduit en Languedoc et dans le Sud-Ouest, mais la quasi-totalité des parcelles françaises ont disparu depuis 1970. Quelques exploitations italiennes de petite taille perpétuent cependant la tradition, autour de Bari, Naples ou Rome. Source : Catalogo Nazionale delle Varietà di Vite, Ministero dell’Agricoltura italiano, 2018.

Une géographie de la survie : régions, chiffres, dynamiques

Si l’essor du merlot, du cabernet-sauvignon ou du chardonnay a freiné la propagation de ces variétés anciennes, certains terroirs et circuits courts poursuivent leur sauvegarde. Plusieurs structures officielles recensent les parcelles encore actives :

  • Le conservatoire national du chasselas de Moissac : l’un des rares lieux où sont maintenues différentes sous-variétés oblongues.
  • La Sicile et la Calabre : bastions du Pizzutello bianco, où l’on trouve moins de 100 hectares fragmentés (source : CREA Viticoltura, Rome, 2021).
  • La vallée de l’Hérault et les Cévennes : des parcelles « jardinées » de Dattier de Beyrouth et Damas noir, en complément de la polyculture fruitière.
  • Espagne et Portugal : le Muscat d’Alexandrie (Moscatel) occupe plus de 50 000 ha, majoritairement pour la production de vin doux naturel ou de raisins secs (source : OIV, 2022).
  • Grèce (Péloponnèse) : 15 000 ha de Corinthe noire pour l’export de raisins secs, surtout à destination du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des Etats-Unis.

Les surfaces françaises consacrées aux variétés anciennes oblongues sont aujourd’hui inférieures à 500 hectares toutes espèces confondues (FranceAgriMer, 2021), principalement dans des contextes familiaux, conservatoires ou d’expérimentation patrimoniale.

Pourquoi une telle raréfaction ? Enjeux et freins à la perpétuation

La disparition progressive de ces variétés n’est pas que le fait de choix gustatifs. Plusieurs causes se conjuguent :

  • Faible rendement vs. cépages modernes : Les variétés oblongues anciennes affichent souvent des productions moyennes situées entre 20 et 30 hl/ha, contre 50 ou 70 hl/ha pour des variétés modernes, selon l’INAO.
  • Moindre stabilité sanitaire : Leur sensibilité aux maladies du bois (esca, black rot), à la coulure ou à la grêle rend leur gestion plus risquée.
  • Normes du marché : La standardisation internationale pousse vers des cépages dont les qualités organoleptiques – aspect, taille, transportabilité – sont maîtrisées et reconnues : gros grain ronds, peau fine, etc.
  • Vieillissement des propriétaires de parcelles : Les initiatives patrimoniales sont portées par un nombre restreint de passionnés ou de petits exploitants familiaux, sans relève assurée.
  • Rare inclusion dans les cahiers des charges AOC/AOP : La quasi-totalité de ces variétés n’est pas valorisée dans les cahiers des charges, sauf pour le Muscat d’Alexandrie.

L’intérêt contemporain : niche qualitative et bio-diversité

Pourtant, l’histoire n’est pas achevée pour les cépages oblongs anciens. Quelques tendances actuelles leur offrent de nouvelles perspectives :

  • Marché local du raisin de bouche : Les circuits courts, marchés fermiers et ventes à la propriété s’intéressent à la rareté et à la typicité. Plusieurs variétés anciennes font l’objet d’un retour d’intérêt sur certains marchés d’automne, notamment en Provence ou en Haute-Garonne.
  • Vins naturels et recherche de diversité : Certains vignerons en biodynamie ou "nature" réimplantent quelques rangs d’anciennes variétés, à la recherche d’arômes singuliers ou pour intégrer des assemblages expérimentaux.
  • Patrimoine et tourisme œno-agricole : Quelques maisons proposent des visites ou des dégustations centrées sur ces variétés oubliées. Le conservatoire de Moissac, par exemple, organise chaque année une "fête du chasselas d’antan".
  • Perspectives de résilience face au changement climatique : Quelques variétés démontrent une meilleure tolérance aux températures élevées et à la sécheresse, ouvrant la voie à des expérimentations pour rendre les vignobles plus résilients (source : INRAE Occitanie, 2023).

Un patrimoine vivant à redécouvrir

Les variétés anciennes de raisins oblongs rappellent la richesse génétique et la créativité des générations passées. Leur survie mérite d’être encouragée, non par nostalgie, mais par conviction de leur potentiel : diversité gustative, adaptation à de futurs défis climatiques ou encore source de projets agricoles atypiques. Que l’on soit vigneron curieux, amateur de patrimoine vivant, ou simple gourmet, cultiver une ou deux ceps de ces variétés dans son jardin, ou partir à leur rencontre sur les marches d’automne, c’est participer à leur transmission. Le mouvement est discret, mais il existe — et tout passionné de biodiversité devrait le suivre de près.

VariétéPays principauxSurface estimée (ha)Uses principaux
Chasselas cornichonFrance, Suisse200Raisin de table
Dattier de BeyrouthFrance100Raisin de table, séchage
Muscat d’AlexandrieEspagne, France, Afrique du Sud200 000Vin, sec, table
Corinthe noireGrèce15 000Séchage
Damas noirFrance, Italie10Table, séchage
Pizzutello biancoItalie100Table

Sources principales : INRAE, OIV, FranceAgriMer, Ampelography Pierre Galet, CREA Viticoltura, Viala & Vermorel, Catalogo Nazionale delle Varietà di Vite.

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