Protéger la vigne : agir biologiquement pour limiter les maladies fongiques

Comprendre les maladies fongiques majeures en viticulture

La météo capricieuse, l’humidité, les changements climatiques… Autant de facteurs qui prédisposent la vigne à l’apparition de maladies fongiques. Trois pathogènes sont responsables de la majorité des dégâts chaque année en France :

  • Mildiou : provoqué par Plasmopara viticola, il détruit feuilles et grappes, avec plus de 33 % de pertes possibles les années épidémiques (IFV Occitanie).
  • Oïdium : dû à Erysiphe necator, il attaque feuilles, rameaux et fruits, surtout dans les climats secs mais humides la nuit.
  • Black-rot : moins fréquent mais en forte progression dans certains secteurs suite à des épisodes pluvieux printaniers répétés.

Lutter ne s’improvise pas : la prévention et l’utilisation raisonnée de traitements alternatifs sont au cœur des stratégies d’avenir.

Allier observation et gestion préventive du vignoble

Mettre en œuvre des mesures agronomiques permet de maîtriser la pression des maladies avant même d’envisager un traitement. Parmi les leviers les plus efficaces :

Choix variétal et résistances naturelles

  • Sélection de cépages résistants : Les nouvelles générations de vignes, dites PIWI (Pilzwiderstandsfähig), offrent une résistance accrue au mildiou et à l’oïdium : par exemple, dans l’Aude, les parcelles plantées en Floreal ou Artaban n’ont demandé que 2 à 3 traitements par an contre 8 à 12 sur les cépages sensibles (Vitisphere).
  • Importance du porte-greffe : Certains porte-greffes renforcent la robustesse immunitaire globale de la plante.

Travail mécanique et aération de la canopée

  • Ébourgeonnage et effeuillage favorisent la circulation de l’air, limitant ainsi l’humidité propice au développement des champignons.
  • Taille respectueuse de la plante : limiter les blessures et favoriser un équilibre végétatif réduit la vulnérabilité.

Gestion raisonnée de l'irrigation et du sol

  • Paillage : maintien de l’humidité sans excès et blocage des éclaboussures responsables de la dissémination des spores.
  • Enherbement maîtrisé : couverture végétale qui absorbe les excès d’eau et concentre la vigueur sur la vigne.

Les traitements biologiques autorisés et éprouvés contre les champignons

En Agriculture Biologique (AB), la bataille contre les maladies fongiques se joue avec un arsenal restreint, selectionné pour son efficacité, sa sécurité et son impact limité sur l’environnement.

Le cuivre, un incontournable sous surveillance

  • Bouillie bordelaise et autres formes de cuivre : malgré la réduction des doses maximales (application annuelle limitée à 4 kg/ha depuis 2019 en AB, Ministère de l’Agriculture), le cuivre reste crucial surtout quand les conditions météo sont difficiles.
  • Utilisation raisonnée : fractionnement des apports, choix des formulations les moins toxiques pour préserver les auxiliaires du sol.

Le soufre : efficace contre l’oïdium et accessible

  • Pulvérisation de soufre mouillable sur feuilles et grappes : barrière redoutable, qui agit par contact contre l'oïdium, à appliquer idéalement entre 18 et 25°C pour un maximum d'efficacité.
  • Effet secondaire : le soufre est aussi actif contre les acariens, contribuant à la santé globale du vignoble.

Biocontrôles et innovations naturelles

  • Bicarbonates de potassium : alternatives intéressantes (ex : VitiSan), homologués en France surtout pour l’oïdium, avec un faible impact sur la faune auxiliaire.
  • Préparations à base d'argile (kaolinite) : utilisées en pulvérisation afin de créer une barrière physique et perturber l’installation des champignons.
  • Biocontrôle à base de micro-organismes :
    • Bacillus subtilis, Trichoderma : des bactéries et champignons utiles qui colonisent la plante et entravent la prise de place des pathogènes.
    • En 2022, l’usage de Bacillus amyloliquefaciens a permis une réduction jusqu’à 40 % de la fréquence moyenne d’attaque du mildiou selon les essais IFV en Val de Loire (IFV).
  • Extraits végétaux : ortie, prêle, ail, saule… des extraits végétaux enrichissent le « bouclier naturel » des vignes et boostent la résistance générale (ces préparations affichent souvent une efficacité intermédiaire, mais restent très populaires en agriculture de conservation).

Optimiser l’efficacité des traitements biologiques

Les traitements ne suffisent pas seuls à garantir la protection : ils trouvent toute leur efficacité s’ils sont intégrés à une stratégie rigoureuse et anticipatrice.

Respecter le bon stade d’application

  1. Observation précise du cycle végétatif : intervenir avant la contamination avec les premiers signes météo favorables à la maladie.
  2. Surveillance météo en temps réel : depuis 2020, plus de 2 000 domaines en France utilisent des stations connectées pour déclencher au bon moment le traitement (VitiConnect).

Adopter la technique du fractionnement

  • Répartir de petites quantités de produits (cuivre, soufre ou biocontrôles) sur toute la saison limite la pression sur l'environnement et améliore la persistance de protection.

Veiller à la qualité de pulvérisation

  • Matériel adapté : buses à bas volume, contrôle du spectre de gouttelettes, réglages fins permettent de diminuer jusqu'à 30% la quantité de produit nécessaire tout en maintenant l’efficacité.

Alternance et diversification des modes d’action

  • Multipliez les modes d’action : alterner cuivre, soufre et biocontrôles retarde l’apparition de résistances fongiques et améliore le profil écologique de la parcelle.

Focus : qu’apportent les stimulateurs de défenses naturelles ?

Depuis dix ans, l’usage des Stimulateurs de Défense des Plantes (SDP) connaît un essor spectaculaire. Ils n’ont pas d’action fongicide directe, mais « réveillent » la capacité des vignes à se défendre seules :

  • Laminarine (extrait d’algues brunes), COS-OGA (oligosaccharides d’origines végétales), et acide salicylique : injectés par pulvérisation, ils induisent chez la plante la production de phytoalexines et autres barrières chimiques naturelles.
  • Selon AgriSudOuest Innovation, l’ajout de SDP au programme standard a permis une baisse du nombre de traitements de 1 à 2 passages sur les exploitations témoins en Bordelais (2019-2022).

Quelles limites et perspectives pour la gestion biologique des maladies fongiques ?

La transition vers la protection biologique soulève toujours plusieurs questions :

  • Réactivité nécessaire : les traitements bio requièrent une anticipation et une surveillance accrue ; la moindre erreur de timing peut réduire leur efficacité.
  • Pressions fortes ou années à haut risque : face à des attaques d’ampleur exceptionnelle, il reste encore difficile de se passer totalement du cuivre. L’innovation variétale et la recherche de biocontrôles plus robustes sont donc prioritaires.
  • Réduction du cuivre : l’Europe vise une baisse continue des seuils autorisés, ce qui accélère la recherche de solutions complémentaires, notamment à base de micro-organismes et de biostimulants (Commission européenne).

Vers un vignoble résilient et innovant

La lutte biologique et préventive contre les maladies fongiques travaille à l’équilibre subtil entre respect du vivant et attentes économiques. L’intégration des solutions naturelles – biocontrôles, cépages résistants, pilotage précis et stimulateurs de défenses – compose aujourd’hui la meilleure réponse pour les exploitants qui veulent conjuguer rendement, sécurité sanitaire et préservation de la biodiversité. Les territoires viticoles pionniers montrent la voie, avec des résultats tangibles et une baisse confirmée des intrants chimiques (La France Agricole).

Au fil des millésimes, les nouvelles connaissances, l’innovation technique et la transmission de terrain continueront d’ouvrir des perspectives durables pour l’avenir de la vigne. Pour chaque vigneron, c’est une invitation à expérimenter, comparer et partager pour bâtir, ensemble, une viticulture résiliente et inventive.

Pour aller plus loin