Protéger le patrimoine viticole : enjeux et solutions face aux maladies du bois de la vigne

Comprendre les grandes maladies du bois de la vigne

La première étape pour protéger durablement le vignoble consiste à bien connaître ses adversaires. Les maladies du bois forment une famille de pathologies fongiques majeures qui affectent la pérennité et la productivité de la vigne, en particulier après 10 à 15 ans d'âge. Elles se révèlent souvent par des symptômes au niveau du feuillage, des ceps et du bois, mais leur développement reste en grande partie silencieux durant plusieurs saisons.

L’esca : le fléau des ceps adultes

  • L’esca est causée par un complexe de champignons lignicoles, essentiellement Phaeomoniella chlamydospora et Fomitiporia mediterranea.
  • Elle se caractérise par l’apparition de taches dites « en aile de papillon » sur les feuilles, un dépérissement soudain du cep (apoplectique) et le développement de zones de bois nécrosées au centre du tronc.
  • En 2021, plus de 750 000 hectares étaient recensés comme contaminés en France selon le BIVB, occasionnant un coût annuel estimé à plus de 300 millions d’euros (source : FranceAgriMer).

L’eutypiose : la mauvaise cicatrisation après la taille

  • Provoquée principalement par Eutypa lata, cette maladie s’infiltre par les plaies de taille et progresse lentement dans le bois, bloquant la circulation de la sève.
  • Les symptômes foliaires (petites feuilles jaunes ou déformées, grappes peu développées) apparaissent parfois plusieurs années après l’infection.
  • Son incidence moyenne en France varie entre 4 et 10% selon les régions, mais des zones du Bordelais ou de la vallée du Rhône atteignent des niveaux de 20 à 30% sur certains cépages sensibles (source : INRAE).

Le black dead arm : l’ennemi méconnu

  • Ce complexe de maladies, lié principalement à Botryosphaeria spp. et Diplodia, provoque des bras morts, des feuilles desséchées et des nécroses sur toute la charpente.
  • Souvent confondu avec l’esca ou l’eutypiose en raison de la similarité des symptômes, il exige une analyse mycologique précise pour être diagnostiqué.

Les facteurs favorisant la propagation : comprendre pour agir

Plusieurs paramètres contribuent à l’expansion des maladies du bois :

  • Âge du vignoble : Les souches matures, souvent taillées au même endroit, présentent des blessures récurrentes qui servent de porte d’entrée aux agents pathogènes.
  • Pratiques culturales : Utilisation de porte-greffes et de cépages sensibles (Sauvignon blanc, Ugni blanc, Sémillon), densité de plantation et calendrier de la taille modifient la favorabilité du milieu.
  • Météo et climat : Les hivers doux, les printemps pluvieux et les périodes humides prolongent la persistance de spores et rallongent la fenêtre d’infection.
  • Gestion des plaies de taille : Les grandes blessures non protégées s’infectent plus facilement et en profondeur.

Depuis la disparition de l’Arsenite de sodium en 2003, il n’existe plus aucun traitement curatif homologué en France. La prévention et la gestion intégrée deviennent indispensables.

Diagnostic et suivi dans la parcelle : stratégies de reconnaissance

Une détection précoce s’avère stratégique pour circonscrire l’évolution de la maladie. Plusieurs outils et gestes complémentaires existent :

  • Observation in-situ : Rechercher feuilles panachées, rameaux desséchés, bras morts ou ceps apoplectiques dès mai-juin.
  • Coupe transversale du bois : Repérer les zones nécrosées, souvent caractérisées par des dépôts blancs, bruns ou noirs au cœur du cep.
  • Analyses mycologiques et PCR : Demander des analyses en laboratoire pour confirmer la présence des agents responsables (source : IFV).

Le taux de mortalité des souches touchées varie de 3 à 10% par an selon la maladie (INRAE). Pour un domaine de 20 hectares, cela peut représenter, sur une décennie, plus de 4 000 ceps à replanter ou à marcotter.

Limiter la contagion : adapter la taille et protéger les plaies

La taille est à la fois la principale pratique de production… et la plus grand vecteur de contamination. Or, bien des gestes permettent de réduire considérablement la pression des maladies du bois :

  • Adapter la période de taille : Tailler en périodes sèches, si possible tardivement, diminue la durée des plaies à vif. Certaines expérimentations montrent une réduction de 30 à 50% des infections en retardant la taille à la fin de l’hiver (Vigne & Vin Occitanie).
  • Adopter la taille douce : Privilégier des surfaces de coupe plus petites, limiter la taille sur le vieux bois, et préserver les flux de sève (techniques Simonit & Sirch).
  • Désinfecter les outils : Un nettoyage régulier des lames avec de l’alcool ou de l’eau de javel (entre chaque parcelle, voire entre chaque rang) limite la transmission accidentelle.
  • Protection des plaies : Application de mastics (par exemple, à base de résines ou d’argiles) ou pulvérisation de produits de biocontrôle (Trichoderma spp., Bacillus spp.) sur les grosses plaies.

Gestion parcellaire et reconstitution du vignoble : anticiper et organiser

  • Paillage des souches mortes : Extraire, dessoucher et, si possible, brûler les ceps morts pour éviter d’entretenir un réservoir de spores.
  • Replantation sélective : Marcottage, greffage de secours ou remplacement par des jeunes plants issus de pépinières certifiées.
  • Cartographie du risque : Utiliser des logiciels de géolocalisation pour suivre la progression des foyers dans le temps (exemple : outil GéoVINA du CIVB Bordeaux).

Certains vignerons consacrent jusqu’à 10% de leur budget main d’œuvre annuel à l’arrachage et à la replantation des ceps morts sur les vieilles parcelles (Agreste, 2022).

Alternatives innovantes : biocontrôle et diversité génétique

L’arsenal conventionnel s’amenuisant, la recherche s’oriente vers deux axes complémentaires :

Biocontrôle et agents naturels

  • Trichoderma atroviride : champignon antagoniste appliqué sous forme de gel ou de spore sur les plaies de taille, reconnu pour réduire l’infection d’esca de 30 à 60% selon l’IFV.
  • Formulations à base de Bacillus subtilis : testées pour stimuler les défenses naturelles de la vigne.
  • Utilisation de substances naturelles : extraits de plantes (ail, propolis, huiles essentielles) à l’étude, mais leur efficacité sur le terrain reste modérée et conditionnée aux conditions environnementales.

Diversité génétique et choix variétal

  • Portegreffes tolérants : Certains portegreffes résistent mieux à l’eutypiose ou aux Botryosphaeriacées. Les essais menés par l’INRAE sur 41 porte-greffes montrent des écarts de sensibilité du simple au triple entre variétés.
  • Collections de clones : Le conservatoire national des cépages a identifié quelques clones hybrides affichant une tolérance accrue aux maladies du bois, mais leur diffusion reste à développer et leur impact œnologique à valider.

Perspectives pour la filière : vivre avec les maladies du bois

Face à l’omniprésence des maladies du bois, la filière viticole doit aujourd’hui composer avec une nouvelle réalité : maîtriser le développement sans espérer l’éradication totale à moyen terme. L’État français et la Commission européenne multiplient les dispositifs de soutien à la recherche et à la formation (programme VITISFERA, Plan National Dépérissement du Vignoble). Par ailleurs, un collectif de 30 partenaires scientifiques et professionnels était mobilisé en 2023 pour accélérer le transfert d’innovations vers le terrain (Vigne & Vin Publications).

Si le défi reste colossal, des pistes prometteuses émergent : formation à la taille respectueuse du flux de sève, recours massif au biocontrôle, outils connectés de surveillance, revalorisation du patrimoine génétique… Ce n’est qu’en croisant expertise technique, innovation et intelligence collective que le vignoble français pourra continuer à prospérer, préserver sa diversité et transmettre ce patrimoine vivant aux prochaines générations.

SOURCES : IFV, INRAE, FranceAgriMer, Agreste, BIVB, Vigne & Vin Occitanie, CIVB Bordeaux, Vigne & Vin Publications

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