Mildiou de la vigne : reconnaître l’ennemi et comprendre sa dissémination

Un fléau séculaire au cœur du vignoble : comprendre la menace du mildiou

Chaque année, le mildiou de la vigne fait planer une menace sur les récoltes européennes. Cette maladie, provoquée par l’oomycète Plasmopara viticola, s’est abattue pour la première fois sur les vignes françaises à la fin du XIX siècle, bouleversant la viticulture de Bordeaux à la Champagne (Vignevin.com). Pour mesurer sa nuisance, rappelons que la pandémie de 1878 a entraîné la perte de près de 80% des récoltes de certains domaines bordelais.

La question de la reconnaissance des symptômes et des stratégies de propagation est centrale encore aujourd’hui, à l'heure où les changements climatiques complexifient la donne. Pour les professionnels de la viticulture comme pour les amateurs éclairés, il est essentiel de savoir différencier une simple attaque de mildiou d’autres maladies foliaires, et de cerner les facteurs qui favorisent sa dissémination.

Identifier le mildiou : signes visuels et évolution sur le végétal

Repérer les premiers symptômes sur feuille et sarment

  • Taches huileuses : Elles sont le premier indice. Ces taches, que l’on désigne comme des « taches d’huile », apparaissent sur la face supérieure des feuilles, principalement après des précipitations abondantes combinées à une température douce (10–25 °C). Elles ont d'abord une teinte vert clair à jaunâtre, irrégulière, souvent cernée.
  • Duvet blanc sous la feuille : Quand l’humidité reste élevée (surtout au matin, à la rosée), un feutrage blanc, le « downy mildew » en anglais, s’observe au revers de la tache, caractéristique de la sporulation de l’agent pathogène.
  • Nécrose centrale : Sur les feuilles âgées ou touchées depuis plusieurs jours, la partie centrale des taches a tendance à brunir, se dessécher et se nécroser, conduisant parfois au percement de la feuille (aspect « troué »).
  • Atteinte des grappes : Les inflorescences et jeunes grains prennent une couleur brunâtre, se flétrissent, et un duvet blanc peut s’y développer, conduisant à leur chute prématurée ou à une perte qualitative importante.

Stades avancés et formes atypiques

  • Mildiou mosaïque : À la fin de l’été, les feuilles peuvent présenter un motif de mosaïque jaune-brun. Cette forme tardive, souvent confondue avec des carences nutritionnelles, est le signe de contaminations anciennes.
  • Tige et vrilles : Les jeunes rameaux deviennent bruns, se déforment, tandis que les pétioles des feuilles ou les vrilles peuvent se dessécher subitement.

Différencier le mildiou des autres maladies foliaires

Pour ne pas confondre le mildiou avec l’oïdium ou la black rot, il est utile de se fier à :

  • L’emplacement du duvet (le mildiou provoque un duvet sous la feuille, jamais dessus).
  • La saisonnalité : le mildiou survient dès le printemps humide, alors que l’oïdium préfère la chaleur sèche.
  • La rapidité de dégradation : la nécrose liée au mildiou peut perforer rapidement la feuille.

Conditions favorables à l’apparition du mildiou

Météorologie et pression de l’inoculum

Le développement du mildiou obéit à la fameuse règle des « 3–10 » :

  • Température supérieure à 10 °C,
  • Pluie supérieure à 10 mm en 24 h,
  • Jeunes pousses de plus de 10 cm.
Les printemps humides et doux sont donc hautement propices. Par exemple, le millésime 2018 a subi plus de 50 jours « à risque » dans le Bordelais, selon le CIVB.

Le mildiou hiverne sous forme d’œufs d’hiver (oospores) dans les feuilles mortes au sol, ce qui accentue l’importance du nettoyage du vignoble.

Facteurs agronomiques aggravants

  • Variétés sensibles (Ugni blanc, Sauvignon ; moindre sensibilité chez Cabernet Sauvignon ou certains porte-greffes hybrides).
  • Densité de plantation trop importante, favorisant l’humidité résiduelle.
  • Vignobles en fond de vallée, mal aérés.

Un vignoble peu aéré, associé à une gestion déficiente de la masse végétale, accroît d’autant plus le risque d’épidémie.

Mécanismes de propagation du mildiou dans un vignoble

Une dissémination exploitant eau et vent

Dès la reprise de végétation, les oospores libèrent des zoospores sexuées, capables de se mouvoir dans l’eau. C’est dans cette phase que la pluie joue le rôle de vecteur principal : les éclaboussures et films d’eau déposent les spores sur les jeunes tissus.

  • Transport par eau : 90 % des contaminations primaires proviennent de projections lors des pluies (Vignevin.com).
  • Propagation aérienne : Une fois implanté, le mildiou produit des sporanges disséminés par le vent sur des distances de plusieurs centaines de mètres, notamment après un épisode pluvieux suivi de vents soutenus.

Cycle infectieux et multiplicateur

  1. Sporulation primaire : Elle débute sur les organes verts après contaminations initiales (œufs d’hiver).
  2. Sporulation secondaire : Lors de conditions favorables, de nouveaux sporanges sont produits toutes les 5 à 6 heures environ (INRAE), accélérant la propagation, surtout lors de périodes orageuses successives.
  3. Polycyclique : Contrairement à d’autres maladies, le mildiou réalise plusieurs cycles infectieux sur la saison, d’où la rapidité de sa diffusion et le caractère explosif de certaines années (jusqu’à 10 cycles par an dans des conditions extrêmes).

Un pied peut ainsi contaminer tout un îlot de vigne en l’espace de 8 à 10 jours avec des conditions météorologiques idéales.

Rôle des pratiques humaines

  • Déplacements dans des parcelles humides (roues de tracteurs, bottes, outils).
  • Irrigation ou arrosage mal maîtrisés.
  • Non-gestion des résidus de taille ou des feuilles au sol, servant de “réservoir” pour les oospores hivernantes.

Conséquences et défis pour les viticulteurs

Le mildiou n’entraîne pas seulement des pertes quantitatives pouvant dépasser 60% en cas d’épidémie majeure : il menace aussi la qualité organoleptique des vins, des déséquilibres nutritifs aux altérations chimiques des raisins atteints (ITAB).

  • Rendements : En 2023, certains secteurs de Champagne ont dû déclarer jusqu’à 30% des grappes impropres à la récolte (France 3 Grand Est).
  • Coûts : Sur une exploitation moyenne, la lutte anti-mildiou (préventifs+curatifs+travail du sol) représente 20 à 30% des coûts phytosanitaires annuels.
  • Pression réglementaire : L’usage du cuivre, principal fongicide homologué en agriculture biologique, est limité à 4 kg/ha/an en moyenne depuis 2019 (règlement UE 2018/1981).

Reconnaître, anticiper et (mieux) protéger son vignoble

Face à un champignon aussi adaptatif, la vigilance reste de mise en toute saison. Les modèles prédictifs informatisés (comme EPI, Milabo ou AgriStar) se généralisent en France pour suivre l’humidité feuille et le risque de contamination, grâce aux données satellites et capteurs in situ.

Associée à une observation fine des parcelles — repérage minutieux des taches dès mai, élimination régulière des feuilles mortes — la stratégie de gestion intégrée permet de limiter la casse. Les variétés résistantes issues de la sélection génomique pourraient bouleverser la donne dans les années à venir. Déjà, des cépages PIWI (résistants au mildiou et à l’oïdium) comme Artaban ou Floreal ont été plantés sur 1 500 hectares en France en 2023.

Enfin, l’avenir de la viticulture passera par une connaissance encore plus fine de cette maladie, dont l’impact tisse un lien direct entre météo, pratiques culturales, biodiversité locale et innovations variétales (Vitisphère).

Pour aller plus loin