Viticulture innovante : les atouts des systèmes verticaux sous serre pour multiplier les plants de vigne

Une nouvelle approche de la multiplication viticole

La sélection et la multiplication des plants de vigne sont au cœur de la viticulture. Face aux contraintes sanitaires, au changement climatique et à l’impératif de produire des plants sains en quantité, les professionnels innovent sans cesse. Parmi les nouvelles méthodes explorées : les systèmes verticaux sous serre, héritiers des techniques d’agriculture urbaine et de production végétale intensifiée. Mais qu’apportent-ils réellement à la viticulture, et comment peuvent-ils transformer la multiplication des cépages ?

Du champ à la serre : pourquoi changer de paradigme ?

Traditionnellement, la multiplication de la vigne se réalisait en pleine terre, via des pépinières à plat ou sous tunnels bas. Cette méthode, bien que maîtrisée, confronte aujourd’hui plusieurs défis :

  • Contrôle sanitaire limité : Difficulté à éviter la contamination par des viroses ou des champignons telluriques.
  • Dépendance aux saisons : Le rythme de multiplication est lié au cycle naturel, limitant l'accélération des rotations.
  • Consommation d’espace : Besoin de vastes surfaces à faible rendement au mètre carré.

La multiplication sous serre, et plus récemment en systèmes verticaux inspirés de l’horticulture high-tech (comme les fermes verticales de leafy greens), répond à ces contraintes par la densification, l’automatisation et le pilotage environnemental.

Comment fonctionne un système vertical sous serre pour la vigne ?

Les systèmes verticaux sont basés sur l’empilement de niveaux de culture, dans un environnement hermétiquement contrôlé. Pour la vigne, ce sont principalement les stades précoces de multiplication (boutures, marcottes, micropropagation) qui sont concernés.

  • Étagères ou racks permettant plusieurs plateaux de boutures les uns au-dessus des autres, maximisant le nombre de plants par mètre carré.
  • Systèmes d’éclairage LED adaptés à la photosynthèse de la vigne, pour compenser l’absence de lumière naturelle, ou en complément.
  • Gestion automatisée du climat : température, hygrométrie, ventilation et, le cas échéant, CO pour booster la croissance.
  • Irrigation fine, parfois en hydroponie, évitant la stagnation d’eau et limitant la propagation de maladies cryptogamiques.

Ce modèle permet d’obtenir jusqu’à 4 à 8 fois plus de plants sur une même surface comparé à une pépinière traditionnelle, selon les travaux de l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) et plusieurs expériences menées en Espagne et en Italie (Vigne Vin).

Intérêt agronomique : raisonnement et résultats

Hygiène et qualité sanitaire maximisées

Le principal atout réside dans la barrière physique offerte par la serre : les boutures sont isolées des sols potentiellement infectés (nématodes, court-noué, champignons du bois) et du vent véhiculant pathogènes et insectes vecteurs de virus. Le taux de plants « sains » s’en trouve augmenté. Selon un rapport INRAE 2023, les passages en système vertical ont permis de monter à plus de 98,5% de plants indemnes de maladies (INRAE).

Réduction drastique des intrants

La culture hors-sol sous serre requiert peu de fongicides, d’insecticides ou d’herbicides. Selon une étude de l’Université de Barcelone (2022), les intrants chimiques étaient réduits de 70% par rapport à une multiplication en pépinière non couverte, car les conditions contrôlées limitent la pression parasitaire et la concurrence des adventices.

Uniformité, homogénéité, traçabilité

La multiplication verticale autorise un suivi individualisé de chaque plateau de boutures grâce à des systèmes de capteurs et de puces RFID. Les plants sont homogènes (mêmes longueurs de racines et rameaux), ce qui optimise la réussite lors de la greffe ultérieure. Pour des cépages sensibles, comme le Pinot Noir ou le Chardonnay, cette régularité est un vrai atout pour les pépiniéristes.

Optimisation de la production : les chiffres clés

Sur les premiers retours d’expérience (essais IFV, projet Vitiforesta 2019-2022) :

  • Rendement moyen de 120 à 150 plants/m² / an en système vertical contre 30 à 40 en culture au sol traditionnelle.
  • Cycle de production réduit de 10 à 12 mois à 7 à 8 mois, pouvant offrir une génération supplémentaire sur un même laps de temps.
  • Economie de 60% de la consommation d’eau grâce à la recirculation et à l’irrigation ciblée.
  • Baisse du gaspillage : rejet de moins de 5% des plants produits, principalement pour défaut de croissance, vs. 15 à 20% en plein champ (Ministère de l'Agriculture).

Un des points forts réside aussi dans l’indépendance accrue vis-à-vis des aléas climatiques : sécheresses, canicules, gels printaniers. Les systèmes fermés garantissent la constance nécessaire au développement optimal des jeunes plants.

Enjeux pratiques : limites, investissement et perspectives

Malgré ses avantages, le recours aux systèmes verticaux en multiplication de vigne n’est pas sans défis :

  • Investissement initial : Les infrastructures high-tech (serres climatisées, LED horticoles, gestion automatisée) nécessitent un investissement qui peut dépasser 250 000 à 400 000 € pour une unité de 500 m², selon les équipements choisis (source : Tech&Bio Viticulture 2023).
  • Formation et suivi : Le savoir-faire évolue : les opérateurs doivent être formés à la surveillance fine du climat, à la maintenance des équipements et aux protocoles rigoureux de biosécurité.
  • Consommation énergétique : L’éclairage et la climatisation génèrent une facture énergétique notable, bien qu’en baisse avec l’amélioration des LED et les serres à haute efficacité énergétique (jusqu’à 35% d’économie par rapport à 2018 grâce aux dernières générations de lampes).
  • Acceptabilité filière : La transition vers ces méthodes « hors-sol » pose la question de l’image et de l’identité du matériel végétal viticole, question cruciale pour certains marchés ou cahiers des charges AOC/IGP, qui imposent parfois le passage en terre ou le respect de certains cycles naturels.

Impacts sur la filière, potentiel et nouveaux usages

L’adoption croissante des systèmes verticaux ne se limite pas à la seule optimisation de la multiplication. Elle ouvre la voie à de nouveaux horizons pour la recherche et la sélection :

  • Tests de nouveaux porte-greffes et variétés résistantes (disease-resistant rootstocks), grâce à des micro-lots reproduits en environnement maîtrisé.
  • Production rapide de plants en réponse aux maladies émergentes : le court-noué, la flavescence dorée, ou face à la progression de certains virus (GLRaV) nécessitent parfois la mise sur le marché rapide de nouveaux lots certifiés, ce que le vertical permet d’accélérer.
  • Valorisation de la biodiversité : multiplication de cépages rares, oubliés ou autochtones à petite échelle, trop risquée ou coûteuse en pépinière classique.

Par ailleurs, la réduction de l’empreinte environnementale, notamment via la gestion raisonnée de l’eau et la quasi-disparition des traitements phytosanitaires, s’inscrit pleinement dans la demande sociétale actuelle, renforçant l’attractivité de ces techniques pour la filière.

Perspectives et avenir de la multiplication viticole en vertical

L’essor des systèmes verticaux sous serre pour la vigne s’annonce comme un levier décisif de modernisation. En alliant sécurité sanitaire, productivité accrue, sobriété environnementale et capacité d’innovation, ils s’imposent déjà pour certains créneaux à haute exigence (recherche, multiplication de porte-greffes sains, réponse à la crise du decline des ceps jeunes…). L'équation économique devra cependant s’ajuster pour susciter un changement d’échelle, via la mutualisation des investissements (pépiniéristes groupés, cofinancements) ou l’intégration à des dispositifs de formation, garantissant la transmission du savoir-faire.

La viticulture vit, à travers ces évolutions, l’un de ses tournants les plus prometteurs depuis l’introduction de la sélection clonale. Les systèmes verticaux sont aujourd’hui bien placés pour accélérer la mutation de la filière et répondre aux défis sanitaires, économiques et environnementaux du XXI siècle.

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