Le Dattier de Saint-Vallier : la pièce manquante du patrimoine viticole français ?

Un patrimoine oublié : le destin singulier du Dattier de Saint-Vallier

Dans la constellation des cépages français, certains noms brillent d’un éclat discret, mais persistent par leur singularité. Le Dattier de Saint-Vallier en fait partie : souvent cité dans les inventaires ampélographiques du XIX siècle, aujourd’hui quasiment disparu du radar des vignerons et des amateurs. Pourtant, ce cépage blanc à la baie caractéristique – longue, oblongue, presque « datte » – concentre à la fois histoire, diversité génétique et potentiel pour l’avenir.

Issu de la commune de Saint-Vallier, dans la Drôme, le Dattier a émergé à une époque cruciale pour la viticulture française. Son nom intrigue autant que ses qualités botaniques. Pourquoi a-t-il disparu des paysages viticoles et, surtout, pourquoi suscite-t-il de nouveau l’intérêt de ceux qui s’inquiètent de la standardisation variétale et cherchent à enrichir la palette des cépages ?

Origine et histoire : un cépage au croisement des siècles

Documenté dès 1868 dans la fameuse Ampélographie de Victor Pulliat, le Dattier de Saint-Vallier est d’abord reconnu pour son port atypique et pour la forme allongée de ses baies — à tel point qu’on l’a parfois confondu avec un raisin de table oriental. Pierre Viala et Victor Vermorel (1901), dans leur Traité général de viticulture, décrivent le cépage comme étant « d’une fertilité remarquable, d’une grande vigueur, mais peu adapté à l’élaboration de vins fins ».

Sa diffusion a toujours été confidentielle. Vers 1880, quelques dizaines d’hectares existaient principalement dans la Drôme et, marginalement, dans la vallée du Rhône. Sa résistance modérée à l’oïdium et au mildiou — deux fléaux majeurs après l’introduction du phylloxéra — a précipité son déclin. Les décennies suivantes voient la variété s’effacer au profit de cépages plus robustes et, avouons-le, plus vendeurs : Ugni Blanc, Grenache, Marsanne.

Un profil ampélographique singulier

  • Feuillage : vert moyen, feuilles entières, rarement trilobées.
  • Porte-greffes : Initialement franc de pied, greffé sur 3309 ou SO4 après la crise phylloxérique.
  • Rameaux : croissance vigoureuse, rameaux dressés souvent rouges à la base.

Le trait distinctif du Dattier, ce sont bien sûr ses baies blanc-vert : pulpe ferme, saveur simple, peu marquée aromatiquement, mais résistante à l’éclatement, ce qui lui valut un temps la préférence pour le transport. Son nom « Dattier » vient de la forme allongée de la baie, évoquant un petit fruit sec.

Le Dattier de Saint-Vallier, raisin de table ou vinification ?

Ambigu dès ses origines, le Dattier a souvent été consommé en raisin de table, notamment sur les marchés locaux jusqu’au milieu du XX siècle. Sa maturité précoce et son port esthétique ont séduit les amateurs de variétés de bouche. Mais qu’en est-il de ses qualités œnologiques ?

  • Potentiel aromatique : discret, notes florales et fruitées légères, parfois amyliques.
  • Degré alcoolique : autour de 11-12 % vol., avec une acidité faible.
  • Typicité : Ne développe ni grande complexité, ni support à l’élevage prolongé.

C’est sans doute ici que le bât blesse : assez neutre, il convient essentiellement à des vins de soif ou d’assemblage. Des essais menés par l’INRA Dijon (1992, non publiés) indiquaient un intérêt dans les coupages pour apporter du volume sans dominer aromatiquement. En revanche, aucun cru AOC ne l’a jamais adopté.

Un atout pour la biodiversité génétique et l’agroécologie

Le Dattier de Saint-Vallier est aujourd’hui surtout recherché comme ressource pour l’enrichissement génétique des vignes françaises. Il est conservé dans plusieurs conservatoires, notamment le Domaine de Vassal (INRAE/IFV) — la plus grande collection mondiale de vignes, qui maintient près de 7 800 variétés différentes (INRAE, 2022).

Les arguments pour relancer son intérêt :

  1. Diversification génétique : Avec seulement 12 cépages assurant 70 % de la production viticole française (source : FranceAgriMer, 2021), l'urgence de la diversification est évidente.
  2. Résilience : Certains descendants démontrent une résistance intéressante à la sécheresse (tests menés par l’IFV Rhodanien en 2019, résultats non encore valorisés commercialement).
  3. Valeur patrimoniale : La conservation des cépages locaux dynamise le tissu rural et enrichit le patrimoine culturel — un enjeu pour l’œnotourisme.

Des initiatives, comme le projet européen VITIS HERITAGE, s’appuient sur des cépages oubliés pour renforcer la résilience du vignoble face au changement climatique. Le Dattier est systématiquement cité parmi les variétés patrimoniales à préserver.

Rare, mais pas disparu : où le (re)découvrir aujourd’hui ?

En France, quelques ceps subsistent avant tout à l’état de collection chez des ampélographes ou dans les jardins de passionnés de viticulture ancienne. En 2022, la plateforme Vitis-vegetal en recensait seulement une douzaine de plans certifiés ; la plupart, sous protection dans des collections privées ou publiques.

  • Domaine INRAE de Vassal (Hérault) : Accès possible lors de visites scientifiques.
  • Conservatoire du vignoble ardéchois : Quelques ceps sauvegardés au sein du projet « Vignes de mémoire ».
  • Collections privées : Plusieurs associations ampélographiques du sud-est en maintiennent à usage pédagogique.

En cave comme au marché, il reste inexistant. Quelques échantillons microvinifiés lors de foires viticoles (Journée de l’Ampélographie française, 2018) ont suscité la curiosité, sans pour autant convaincre quant à la viabilité commerciale d’un retour à grande échelle.

Quel avenir pour le Dattier de Saint-Vallier ?

La renaissance des cépages oubliés n’est pas un caprice de collectionneur : elle s’inscrit dans la réflexion majeure sur la diversification, l’adaptation climatique et la valorisation des terroirs atypiques. Toutefois, pour le Dattier de Saint-Vallier, la voie la plus plausible semble restreinte à trois horizons :

  • Rôle pédagogique : Présentations dans le cadre de formations ampélographiques et ateliers de découverte (ex : Le Conservatoire du Vignoble Drômois).
  • Parenté génétique : Matériel pour des croisements afin de développer des porte-greffes ou variétés plus résistantes.
  • Production confidentielle : Raisin de bouche pour marchés fermiers de niche ou gastronomie patrimoniale.

La question persiste : faut-il tout réhabiliter ? Ni fer de lance d’une révolution œnologique, ni réservoir d’arômes inédits, le Dattier rappelle néanmoins la richesse d’un vignoble français autrefois foisonnant d’originalité.

Pourquoi ne pas explorer le patrimoine vivant de nos vignes ?

Le Dattier de Saint-Vallier pourrait inspirer de nouvelles pratiques, invitant vignerons, chercheurs et consommateurs à envisager autrement la diversité du vignoble. À l’heure où l’identité des vins se dessine autant par l’histoire que par la singularité des cépages, ce raisin oblong murmure l’importance de la mémoire collective et du respect du vivant. Redécouvrir de telles variétés, c’est aussi (re)donner sens à la notion de terroir… et à la créativité des générations futures.

Références principales :

Pour aller plus loin