Bâtir un chai bas carbone : leviers d’action dès la conception

Pourquoi agir dès la construction : enjeux carbone et bénéfices à long terme

Le secteur du bâtiment représente 43 % de la consommation énergétique française et près de 25 % des émissions nationales de CO2, selon l’ADEME (Bâtiment & Environnement, ADEME, 2023). Si un chai bien conçu permet d’afficher une faible consommation, les matériaux employés et le chantier en lui-même constituent une part significative de l’empreinte carbone totale, parfois supérieure à celle du fonctionnement sur 20 ou 30 ans. D’où l’intérêt d’intégrer une réflexion bas carbone avant même la première pierre :

  • Limiter le “carbone incorporé” (émissions liées à la fabrication, transport et mise en œuvre des matériaux)
  • Réduire la consommation opérationnelle future grâce à des choix judicieux en termes d’isolation, d’inertie thermique et d’énergie renouvelable
  • Valoriser une démarche environnementale cohérente, atout pour l’image du domaine et auprès des consommateurs sensibles à ces démarches (étude OpinionWay, 2023 : 73 % des Français disent privilégier des vins issus de domaines engagés dans une démarche durable)

Un chai éco-conçu anticipe également les potentielles évolutions réglementaires, en particulier la nouvelle réglementation environnementale RE2020 dans le neuf, qui fixe des seuils ambitieux de performance carbone.

Choix des matériaux : priorité aux alternatives bas carbone

Le béton, un défi structurel… et environnemental

Le béton traditionnel reste le matériau le plus utilisé dans la construction des chais pour ses qualités d’étanchéité, d’inertie thermique et sa durabilité. Mais il présente un bilan carbone élevé : 1 tonne de ciment Portland = près de 600 kg de CO2 émis (Source : World Cement Association, 2021).

Pour limiter cet impact, plusieurs leviers existent :

  • Bétons bas carbone : intégrant des ajouts de laitier de haut fourneau, cendres volantes ou pouzzolane (exemple : bétons “CEM III”) permettant de réduire jusqu’à 40 % les émissions par rapport à un béton courant (Syndicat Français de l’Industrie Cimentière)
  • Optimiser la structure pour limiter les volumes (poteaux-poutres, voiles minces, voûtes autostables)
  • Recourir à des bétons préfabriqués produits hors site, plus faciles à optimiser et à contrôler

La montée des matériaux biosourcés

Les matériaux issus de la biomasse (bois, chanvre, paille, lin, miscanthus, terre crue) présentent des fiches carbone très basses, voire négatives sur tout ou partie de leur cycle de vie (certains matériaux absorbent plus de CO2 qu’ils n’en émettent à la fabrication). Exemples concrets pris dans le monde viticole :

  • Bois lamellé-collé ou massif : structure des chais (cf. le chai du Château Cheval Blanc, 2011, intégralement conçu en bois – source : Construction21)
  • Panneaux isolants en ouate de cellulose, fibre de bois, laine de chanvre
  • Enduits à base de terre crue, limitant la chaleur estivale par l’inertie et zéro emissions liées à la cuisson

L’intégration du bois permet aussi de stocker du carbone et d’améliorer la performance énergétique du chai, tout en renforçant le caractère esthétique de l’ouvrage.

Matériaux recyclés et économie circulaire

Le bâtiment viticole peut aussi recourir à des matériaux issus de filières de recyclage :

  • Aciers recyclés (jusqu’à 90 % chez certains producteurs)
  • Verre recyclé pour les ouvertures
  • Remplois de matériaux issus de déconstruction locale (briques, pavés, pierres anciennes)

L’impact carbone du transport des matériaux reste un enjeu crucial : privilégier les filières locales (< 200 km) réduit fortement le bilan global du chantier.

Concevoir un chai économe en énergie : l’importance des choix bioclimatiques

Implantation et orientation : tirer parti du site

Un chai pensé dès sa conception en bioclimatique peut réduire jusqu’à 60 % ses besoins de climatisation ou chauffage, selon une étude de l’Université de Bordeaux (2022). Les principaux axes de réflexion :

  • Implanter le bâtiment dans le sens est-ouest pour limiter l’exposition au soleil de l’été
  • Tirer parti du relief pour enterrer partiellement les locaux : 1 mètre de terre = jusqu’à 4 °C de différence de température naturelle
  • Minimiser les surfaces vitrées au sud, maximiser l’auvent ou la végétalisation en toiture (réduction d’îlot de chaleur)

Isolation thermique performante : investir au bon endroit

Les systèmes de gestion de température représentent jusqu’à 60 % de la consommation électrique d’un chai de vinification, selon FranceAgriMer (2022). Investir dans une isolation “hors normes” (épaisseur doublée, matériaux biosourcés) permet de lisser les écarts et de réduire les pics de consommation.

Exemples :

  • Vérifier la compacité du bâtiment : moins de surface d’échange avec l’extérieur = moins de déperdition
  • Favoriser des toitures végétalisées : isolation renforcée, stockage du carbone, rétention de l’eau pluviale
  • Eviter les ponts thermiques : traitement des angles, menuiseries à rupture de pont thermique

Énergie renouvelable et équipements sobres : anticiper dès les plans

Photovoltaïque, solaire thermique, géothermie : quelles solutions pour un chai ?

La majorité des nouveaux chais premium intègrent désormais des équipements de production d’énergie renouvelable dès la phase de conception, tant pour le chauffage, le refroidissement ou la production d’eau chaude. Pour évaluer la meilleure solution, il est essentiel de croiser :

  • Le profil de consommation (pics, saisonnalité, phases de vendange)
  • La surface et l’orientation des toitures disponibles (photovoltaïque : 100 m² bien orientés peuvent couvrir 25 % des besoins d’un chai de taille moyenne – source : INRAE Bordeaux)
  • L’intérêt d’un couplage (géocooling pour les cuves enterrées, pompe à chaleur sur nappe phréatique)

Équipements sobres et smart grids viticoles

Systèmes de gestion technique du bâtiment (GTB), LED à détection de présence, ventilation double-flux, tous ces équipements, s’ils sont planifiés bien en amont, permettent de viser une consommation électrique jusqu’à -40 % par rapport à une construction classique (retour d’expérience Château Montrose, Médoc).

  • Systèmes de monitoring : capteurs de température, hygrométrie, consommation, le tout pilotable pour ajuster au plus près
  • Infrastructures pour piloter la charge électrique : stockage sur batteries, injection différée

Chantier bas carbone : logistique, décarbonation et déchets

Outre les choix structurels, la phase de chantier en elle-même pèse : 10 à 20 % des émissions totales d’un bâtiment neuf (CSTB, 2022). Les marges d’action :

  • Favoriser des engins de chantier électriques ou hybrides
  • Mobiliser un maximum de ressources locales (main d’œuvre, matériaux, sous-traitants)
  • Limiter la production de déchets et développer le tri et la valorisation (recyclage des gravats, réutilisation des terres excavées au vignoble)

Quelques projets-pilotes (ex : Cité du Vin à Bordeaux) ont montré que dès la gestion de chantier optimisée, il est possible de réduire de 30 % les émissions directes par rapport à des pratiques standard.

Certification et valorisation : aller vers l’exemplarité

Labels et référentiels permettent de cadrer la démarche :

  • Label “Bâtiment Bas Carbone”, “HQE”, “BREEAM”
  • Accompagnement ADEME pour évaluation du cycle de vie (ACV) d’un chai

Valoriser la trajectoire bas carbone dans la communication du domaine (portes ouvertes, site internet, presse) s’avère aujourd’hui un vrai levier de différenciation, notamment à l’export où la traçabilité des émissions prend une place de plus en plus importante (cf. exigences importateurs nord-américains, ou “carbon footprint reporting” au Royaume-Uni).

Entre innovations et traditions : tendances observées et perspectives

Du chai gravitaire favorisant la circulation par la pente à l’architecture partiellement enterrée façon “vigneronne”, de plus en plus de caves viticoles fusionnent innovations technologiques et héritage local pour réduire leur empreinte sur le climat.

  • Utilisation de murs en pisé dans le Sud-Est
  • Chais semi-enterrés à inertie naturelle dans le Bordelais
  • Écoquartiers viticoles émergents (Val de Loire, Occitanie)

La dynamique est amorcée, mais chaque projet reste unique selon son terroir et ses enjeux. Ce qui est certain : les choix faits aujourd’hui lors de la construction engagent le domaine pour plusieurs décennies, tant en matière d’impact environnemental que de compétitivité.

Décider de bâtir un chai bas carbone est un pas décisif, mais loin d’être une question d’image seulement. C’est un investissement sur l’avenir face à la transition écologique en cours, qui conjugue gains économiques, efficacité énergétique et attractivité pour la filière viti-vinicole.

Sources principales : ADEME, INRAE Bordeaux, FranceAgriMer, CSTB, Université de Bordeaux, Construction21, World Cement Association, OpinionWay.

Pour aller plus loin