Le suivi connecté des fermentations : cap sur une vinification de précision

Pourquoi digitaliser le suivi de la fermentation ?

Traditionnellement, le suivi de la fermentation s’effectue par des contrôles manuels : prélèvements pour analyse en laboratoire, mesures de température et de densité à l’aide de thermomètres et densimètres classiques. Cette pratique implique une réactivité limitée ; la qualité du vin peut pâtir d’écarts non détectés à temps, surtout lors de fermentations rapides ou délicates.

  • Réactivité accrue : un suivi digitalisé permet aux viticulteurs et œnologues d’anticiper les dérives de température, chutes de densité anormales ou risques infectieux, éléments majeurs dans la maîtrise de la qualité.
  • Sécurité automatisée : certains équipements déclenchent automatiquement l’activation de groupes de froid ou d’agitateurs en cas de paramètres hors normes.
  • Traçabilité facilitée : conserver un historique précis, consultable à distance, renforce la maîtrise des process et la capacité à documenter la qualité auprès des clients ou de la certification.

Selon une étude conduite par l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), la digitalisation du suivi des fermentations permet de réduire de 15 à 20% les pertes liées à des accidents fermentaires non anticipés (source IFV).

Les principaux équipements connectés au service de la fermentation

1. Capteurs multiparamètres autonomes

À la base de cette révolution : les capteurs intelligents, installés dans ou sur la cuve. Ils mesurent en continu plusieurs paramètres essentiels :

  • Température du moût et du chapeau de marc
  • Densité ou évolution de la densité (degré de fermentation)
  • Potentiel Redox, pH, taux d’oxygène dissous dans certains modèles haut de gamme

Le dispositif Sensorswine, par exemple, place un capteur flottant autonome dans chaque cuve. Il transmet sans fil les valeurs : températures, densité, indices de fermentation, à une plateforme en ligne, toutes les 15 minutes. Ces données sont exploitables via un smartphone ou un ordinateur et alertent en temps réel en cas d’anomalie.

  • OneOeno, démarqué par sa communication GSM (pouvant transmettre même dans des caves mal couvertes en WiFi), équipe déjà plus de 1000 chais en France et Europe (chiffres 2022).
  • eCymo du groupe Vivelys automatise le suivi sur plusieurs cuves simultanément, avec analyse prédictive et reporting automatique.

2. Plateformes logicielles de gestion centralisée

Le capteur n’a de valeur que par l’exploitation intelligente de ses données. Les plateformes logiciels comme Ovinion ou le module de traçabilité de Vinventions centralisent l’ensemble des mesures, historisent, et proposent parfois des outils décisionnels :

  • Visualisation multi-cuves, pour détecter des écarts de fermentation entre lots
  • Alertes SMS/email immédiatement en cas de dérive
  • Export de rapports pour la traçabilité réglementaire

Ces outils s’intègrent souvent avec l’ERP ou le logiciel de gestion du domaine, simplifiant la gestion globale - un vrai atout pour les cave-coopératives ou domaines multipropriétés.

3. Automatisation des actions correctives : exemples concrets

Certains dispositifs connectés vont plus loin : ils pilotent automatiquement les refroidisseurs, agitateurs ou pompes. Par exemple, la société Chaudronnerie Vinicole propose un système qui, couplé aux capteurs de température et de densité, ajuste en temps réel l’apport de froid ou les cycles de remontage. Une telle automatisation permet d’économiser jusqu’à 12% sur les coûts énergétiques liés au maintien de la température (Source : Vitisphere).

Étude de cas : gains mesurables dans les domaines équipés

Plusieurs grandes maisons, mais aussi des domaines familiaux, ont adopté ces technologies. Selon un rapport agritech Deloitte 2023 sous commandite de Boisset, l’équipement connecté permet :

  • Un gain de temps équivalent à 2 à 3 heures par jour pendant les vendanges sur la phase d’observation et de reporting
  • Une baisse de 25% d’incidents critiques sur la fermentation, liée à l’anticipation quasi immédiate de toute dérive
  • Une meilleure homogénéité entre les lots grâce à l’objectivation du suivi

La cave coopérative Plaimont, dans le Gers, témoigne avoir amélioré sa rentabilité d’environ 5 à 7% sur les lots suivis avec la solution Sensorswine entre 2019 et 2022, principalement par la limitation des écarts qualitatifs et la réduction des rebuts (La République des Pyrénées).

De la vigne au chai : l’intégration dans la démarche de viticulture de précision

La digitalisation du suivi de fermentation ne se limite pas à la cave. Plusieurs acteurs connectent les données fermentaires aux observations du vignoble (maturité, état sanitaire, hydrométrie…). L’intégration, par exemple, de la plateforme SmartSensing permet de relier en temps réel :

  • Les potentiels du raisin lors de la vendange (degrés, indices phénoliques) à la cinétique de fermentation
  • Les interventions phytosanitaires ou de tri manuel à l’évolution observée au chai

Résultat : la prise de décision sur les choix de levurage, d’enrichissement ou de macération peut s’appuyer sur des corrélations statistiques, collectées automatiquement par les outils connectés. Cette approche globale diminue les écarts liés uniquement à l’expérience ou à l’intuition, tout en préservant la capacité d’ajustement spécifique à chaque millésime.

Cap sur l’avenir : innovations émergentes et enjeux à venir

L’essor de la digitalisation du suivi de fermentation s’accompagne de multiples innovations. Parmi les tendances identifiées par BASF Agro et le baromètre Agritech 2023 :

  • Intelligence artificielle : des algorithmes prévisionnels sont intégrés aux grands systèmes de monitoring. Ils permettent, à partir des données passées, de détecter en avance les risques de ralentissements, d’écarts de température ou de contamination.
  • Capteurs miniaturisés nouvelle génération : des start-ups comme Enosis ou Winegrid développent des micro-capteurs à coût réduit, rendant la digitalisation accessible à tous les exploitants, même de petite taille.
  • Interopérabilité totale des systèmes : émergence de normes communes (comme le standard OPC-UA dans l’agroalimentaire) facilitant la connexion entre les équipements de différents fabricants.
  • Capteurs non-invasifs : mesure par spectrométrie infrarouge ou acoustique, évitant tout contact direct avec le vin, limitant ainsi les risques de contamination.

L’un des défis majeurs demeure la gestion de la cybersécurité des données collectées et échangées, enjeu parfois sous-estimé au sein des structures rurales ; mais les acteurs majeurs intègrent progressivement l’authentification sécurisée et le chiffrement à leurs applications cloud et mobiles.

Exigences réglementaires et valorisation qualitative

Rappelons enfin que la traçabilité imposée par les normes HACCP et la réglementation européenne sur les vins IGP/AOP (EUR-Lex, règlement UE 2018/273) se voit grandement facilitée par les équipements connectés. L’accès rapide à tout l’historique fermentaire, l’archivage automatique, les exportations en format certifié sont aujourd’hui autant d’atouts pour gagner en sérénité lors d’audits ou lors des démarches d’export.

Vers un suivi connecté et raisonné : trouver sa solution

L’investissement dans des équipements connectés adaptés au suivi de fermentation ne s’improvise pas. Le choix dépend :

  • Des volumes vinifiés et du type de vin recherché (fermentations courtes ou longues, blancs, rouges, effervescents…)
  • Des impératifs de traçabilité ou de certification qualité
  • Du niveau d’automatisation souhaité (simple alerte ou gestion active des process)
  • Du budget disponible - le coût d’entrée peut varier de 250 à 1500€ par cuve, selon les options (chiffres Ministère de l’Agriculture, 2023).

La digitalisation du suivi de fermentation est désormais accessible, modulable, et trouve sa place tant chez des petits vignerons souhaitant faire progresser la qualité, que dans les grands chais à la recherche d’efficience. La diversité des solutions, l’intégration avec la gestion globale de l’exploitation, l’extension possible vers la vigne ou le chai, permettent d’envisager une complète transformation, fidèle à la philosophie de la viticulture de précision. Quant à l’humain, il reste maître à bord : c’est bien lui qui décide, adapte, et sublime la matière première, mais désormais assisté par la puissance du numérique.

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