Automatisation du remontage et de la gestion des lies en cave : transformer le quotidien du vigneron

Le remontage et la gestion des lies : enjeux et contraintes en cave

Couper le moût, aérer, homogénéiser, extraire… Le remontage fait partie intégrante de la vinification en rouge, tandis que la gestion des lies assure la clarté et la stabilité du vin. Historiquement, ces étapes demandent un investissement en temps et une attention de chaque instant. Or, selon l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), près de 20 % du temps d’un caviste est dédié aux opérations manuelles de remontage et de soutirage des lies sur un cycle classique de vinification.

Plusieurs contraintes sont souvent citées :

  • La pénibilité physique (manutentions, manipulation de tuyaux et de pompes).
  • La répétitivité des tâches sur des périodes courtes et intenses, lors des vendanges notamment.
  • Le risque d’erreur humaine – surdés aération, défaut d’homogénéité – menant à des écarts de qualité.
  • Des processus parfois peu traçables ou difficilement reproductibles d’une cuve à l’autre.

Les solutions pour automatiser le remontage

Pompes programmables et systèmes connectés

Le premier niveau d’automatisation repose sur des pompes asservies à des minuteries ou à des automates programmables. Plusieurs marques, telles que Pellenc ou Diemme Enologia, proposent des systèmes où le temps, le débit et la fréquence des remontages s’ajustent selon des paramètres prédéfinis ou des profils préenregistrés.

  • L’automate contrôle le lancement du remontage de jour comme de nuit.
  • Les cycles d’aération sont paramétrables, ce qui limite l’oxydation accidentelle.
  • La répétition et l’homogénéité sont améliorées d’une cuve à l’autre.

Les systèmes connectés permettent la gestion et le pilotage à distance, via tablette ou smartphone, facilitant un suivi en temps réel des opérations. Certaines solutions envoient des alertes lors d’une anomalie (panne de pompe, manque de débit, etc.).

Remontage automatisé par capteurs et intelligence embarquée

Des capteurs placés sur ou dans la cuve mesurent des données en temps réel : température, densité, oxygène dissous, niveau de marc... Grâce à ces informations, l’automate adapte la durée et l’intensité des cycles de remontage. Selon la revue Viti, l'équipement de capteur Oxyma permet de réduire la consommation en énergie de 15 à 30 % grâce à la modulation fine des cycles d'aération (Mon Viti, 2023).

  • Remontage activé uniquement quand nécessaire, évitant les gaspillages d’énergie.
  • Moins d’interventions humaines, baisse du risque d’accidents et d’erreurs.
  • Historisation des données pour une traçabilité complète et amélioration continue.

Systèmes centralisés pour caves de moyenne et grande taille

Dans les domaines de grande envergure ou les caves coopératives, le pilotage centralisé est incontournable. Des interfaces supervisent des dizaines de cuves, planifient les remontages en fonction des besoins précis de chaque lot et mutualisent les interventions techniques. Exemple chez Champagne Cattier, où l’automatisation des remontages et du lavage des cuveries a permis de gagner plus de 350 heures de travail par an (source : Réussir Vigne, octobre 2022).

Automatisation de la gestion des lies : éco-efficacité et précision

La gestion des lies (soutirages, bâtonnages, débourbage...) demande finesse et régularité. Automatiser ces étapes, c'est garantir qualité, sécurité et gains environnementaux.

Soutirage automatique

Des vannes motorisées, parfois couplées à des jauges de niveau et des capteurs d’opacité, réalisent le soutirage dès qu'une consigne (clarté, volume, date) est atteinte. Les soutirages programmés limitent la survenue d’ondes sulfurées ou la recontamination par les dépôts.

L’usine expérimentale Inno’Vin à Bordeaux signale une baisse de 40 % du nombre de manipulations humaines sur ses lots pilotes utilisant ces dispositifs. L’efficacité s’en trouve optimisée sur les grandes séries, tout en maîtrisant mieux le risque de perte volumique.

Bâtonnage automatisé et lies fines sous contrôle

Caves et domaines qui pratiquent l’élevage sur lies fines automatisent le bâtonnage à l’aide de « roues bâtonneuses » ou de systèmes de microbullage à intervalles précis. Parmi les exemples : le Château Pape Clément utilise depuis 2019 une cuverie connectée capable d’automatiser 15 cycles de bâtonnage personnalisés par semaine, réduisant de plus de moitié le temps humain alloué (Vitisphere).

  • Uniformité du contact lies-vin, donc meilleur potentiel aromatique.
  • Réduction des risques sanitaires (moindre intervention humaine directe).
  • Simplicité de traçabilité.

Combien de temps (et d’argent) peut-on gagner grâce à l’automatisation ?

Selon une étude de l’IFV menée en 2021 dans le Bordelais auprès de 19 exploitations équipées, l’automatisation du remontage fait gagner entre 8 et 18 minutes par jour et par cuve lors de la vendange, soit jusqu’à près de 20 heures par mois sur 5 cuves actives. Pour la gestion des lies, le gain de temps peut atteindre 40 % sur l’ensemble des phases de débourbage-soutirage sur des cuveries de plus de 1000 hectolitres.

  • Diminution de la main-d’œuvre dédiée à ces étapes lors des périodes de pointe.
  • Amélioration de la sécurité (moins de déplacements, moins d’efforts physiques).
  • Possibilité de réaffecter le personnel sur d’autres tâches à forte valeur ajoutée.
  • Meilleure reproductibilité des profils de vinification.

Point marquant pour les exploitations de taille intermédiaire : des aides à l’investissement existent via le Plan de Relance ou les crédits d’équipement régionaux (20 à 40 % de subvention sur matériel labellisé « optimisation énergétique », source : FranceAgriMer).

Obstacles et précautions dans la mise en œuvre

L’investissement initial reste le frein majeur, avec un coût oscillant de 7000 à plus de 40 000 € pour une automatisation complète, selon la superficie, le nombre de cuves, et la complexité souhaitée. Il faut également anticiper :

  • La formation des opérateurs à l’utilisation et la maintenance du système.
  • L’ajustement régulier des paramètres – ce n’est pas du « tout-automatique » : l’expertise humaine reste primordiale pour affiner la conduite des vinifications.
  • L’entretien régulier pour éviter le colmatage ou le mauvais fonctionnement des capteurs.

Enfin, si l’automatisation améliore la constance et la sécurité, elle ne remplace pas l’observation directe du vin ni la dégustation, outils essentiels de tout bon œnologue ou maître de chai.

Cap vers la cave du futur ?

Automatiser remontage et gestion des lies, c’est ouvrir la voie à une vinification plus fluide, permettant aux vignerons de se centrer sur l’essentiel : l’expression du terroir et la qualité du vin. Alliée à une meilleure organisation du travail et à la digitalisation, cette nouvelle approche pose les jalons d’une cave plus intelligente, performante et durable.

À mesure que coûts énergétiques, réglementations sanitaires et attentes environnementales se renforcent, l’automatisation devient un levier stratégique. Pour anticiper les besoins de demain et rester compétitif, l’investissement dans ces technologies s’inscrit dans un mouvement global d’optimisation du métier et de valorisation des savoir-faire.

Pour aller plus loin sur ce sujet, on recommandera les rapports techniques de l’IFV, le travail d’expérimentation relayé sur Vitisphere, ou encore les débats d’innovation publiés par Mon Viti.

Pour aller plus loin