Cinsault : le Cépage Oublié Qui Fait Sensation dans la Nouvelle Vigne

Le Cinsault : entre histoire discrète et renaissance remarquée

Le Cinsault est un cépage rouge typique du bassin méditerranéen, souvent resté dans l’ombre de ses célèbres cousins grenache et syrah. Pourtant, dans les décennies qui viennent de s’écouler, il n’a cessé de susciter la curiosité : vignerons, œnologues et amateurs l’explorent, surpris par sa capacité d’adaptation, ses qualités gustatives et son potentiel face aux nouveaux défis du climat et du marché. Retour sur la trajectoire du Cinsault, souvent qualifié de “phénix” des vignobles du sud.

Origines, déclin, puis résurgence : le parcours singulier du Cinsault

Originaire vraisemblablement du bassin méditerranéen, le Cinsault trouve ses plus anciennes mentions en Languedoc, au XIXe siècle. Très planté au début du XXe siècle, il fut l’un des piliers des vins de masse. Vers 1950, il couvrait près de 120 000 hectares en France d’après l’Institut Français de la Vigne et du Vin.

Cependant, son association à la productivité et à des vins jugés “légers” le marginalise lors du tournant qualitatif des années 1980. Sous l’effet des arrachages et de la montée d’autres cépages plus réputés, le Cinsault recule : au début des années 2010, il en restait à peine 22 000 hectares dans le pays (source : OIV).

Mais depuis une dizaine d’années, la dynamique change. Le Cinsault séduit de plus en plus les vignerons cherchant :

  • Moins d’alcool et plus de fraîcheur dans leurs vins
  • Des profils aromatiques délicats et originaux
  • Une meilleure résistance face à la sécheresse croissante
  • Des rendements maîtrisables dans des contextes de viticulture durable

Les atouts agronomiques du Cinsault : allié des nouveaux climats

Le réchauffement planétaire amplifie le besoin de cépages adaptés à la chaleur et à la sécheresse. Une caractéristique clef du Cinsault est sa tolérance à la sécheresse, héritée de ses racines méditerranéennes profondes. Il est aussi relativement précoce, ce qui limite les risques liés aux vendanges tardives dans des étés caniculaires.

  • Profondeur racinaire élevée : permet d’explorer les ressources hydriques du sous-sol
  • Peau fine du raisin et grappes lâches : facilite la lutte contre la pourriture grise
  • Sensibilité modérée aux maladies (hors oïdium)

Selon l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), ces facultés d’adaptation ont motivé de nouvelles expérimentations dans les vignobles du Languedoc, de Provence mais aussi de la Vallée du Rhône méridionale.

Cinsault : retour sur terre et dans le verre

Le retour du Cinsault dans le paysage viticole français

C’est le Languedoc qui amorce la tendance au début des années 2010. Les statistiques du CIVL (Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc) révèlent un frémissement des plantations depuis 2015, marquant la fin de sa longue “disgrâce”. D’autres régions, comme le Rhône Sud, suivent avec des initiatives de replantation.

Le phénomène ne se limite pas à la France. En Afrique du Sud – où le Cinsault (ex “Hermitage”) fut longtemps utilisé dans l’assemblage du célèbre Pinotage – il connaît aussi un vrai retour, particulièrement dans le Swartland. Même tendance remarquée dans les vignobles australiens ou ceux du Levant espagnol, selon le rapport mondial de l’OIV (2021).

Chiffres et évolutions récentes

  • En 2018, 23 450 hectares de Cinsault recensaient officiellement dans le monde (OIV).
  • La moitié de ces surfaces reste située en France, essentiellement dans le Languedoc et la Provence.
  • En dix ans, les importations de vins où le Cinsault domine ont progressé de 18% aux États-Unis et de 13% au Royaume-Uni (Wine Intelligence, 2022).

Dans les caves : styles et profils en plein renouveau

Si jadis, le Cinsault servait surtout aux rosés de toutes gammes, aujourd’hui sa versatilité séduit :

  • Vins rouges peu tanniques et d’une grande buvabilité (souvent élevés en cuve ou en amphore)
  • Assemblages raffinés (notamment avec syrah, grenache et mourvèdre, dans l’esprit des AOP du Sud)
  • Vins rosés frais, délicatement fruités, à la structure légère (Côtes de Provence, Languedoc, Bandol au côté du mourvèdre)
  • Expérimentations en vin nature et vieillissement prolongé en fût ou œuf béton

Certains vignerons iconoclastes, tels que Maxime Magnon (Corbières), Marcel Richaud (Cairanne), ou le domaine Tempier à Bandol, en ont fait un étendard de leur style “nouvelle vague”. Le Cinsault est même apprécié pour sa contribution aromatique et sa touche florale dans des cuvées haut de gamme.

Pourquoi les consommateurs redécouvrent-ils le Cinsault ?

Le vent de fraîcheur porté par le Cinsault s’inscrit dans une évolution profonde des goûts :

  • Recherche de vins digestes, moins alcooleux, adaptés à la tendance “vins de soif”
  • Sensibilité accrue à l’originalité de cépages moins connus, pour sortir des sentiers battus
  • Effet “millennial” : la génération 25-40 ans réclame authenticité, histoire et naturalité, autant de qualités incarnées par le Cinsault
  • Vins compatibles avec la gastronomie moderne, urbaine et végétale

Cinsault et sommellerie : de la table bistronomique à la grande cuisine

  • Accords parfaits avec : charcuteries fines, légumes grillés, tajines, volailles rôties, plats asiatiques relevés
  • En rosé : un grand classique des apéritifs, sushis, ceviche ou salades d’été
  • Sa capacité à surprendre, même dans des accords avec fromages affinés ou mets sucrés-salés

Des tables étoilées aux bars à vins, de nombreux sommeliers français et internationaux recommandent désormais le Cinsault pour sa subtilité, sa dynamique de bouche et son potentiel d’évolution (source : La Revue du Vin de France).

Le Cinsault face aux défis climatiques et économiques

Plus résilient face au stress hydrique et relativement peu gourmand en interventions phytosanitaires, le Cinsault se positionne comme une option stimulante pour la viticulture en transition. Voici quelques points saillants confirmés par plusieurs études agronomiques récentes (ex. IFV, 2021) :

  • Adaptabilité à des rendements faibles pour des viticulteurs cherchant la qualité
  • Diminution du besoin en intrants (sulfites, traitements anti-cryptogamiques)
  • Bon potentiel pour la culture biologique et la certification HVE
  • Relatif maintien de l’acidité même en année chaude, rare pour un cépage méditerranéen

Côté marché, la démocratisation des cuvées “cépages rares” favorise sa reconnaissance. Plusieurs concours et guides (Bettane+Desseauve, Decanter, Concours Général Agricole) ont mis en lumière des cuvées 100% Cinsault ayant séduit sur les tables internationales.

Nouvelles pistes et perspectives

Le Cinsault campe ainsi sur plusieurs tendances lourdes de la filière :

  • Recherche de solutions pour “reconnecter” la viticulture au terroir méditerranéen authentique
  • Revitalisation des zones de piémont et coteaux oubliés, parfois mieux valorisées qu’avec syrah ou grenache
  • Potentiel de vieillissement méconnu – des dégustations de vieux millésimes (ex : Bandol 1982, Châteauneuf-du-Pape 1976) révèlent une stupéfiante stabilité aromatique

Outre la France et ses 35% des superficies mondiales, l’Afrique du Sud, l’Australie, le Liban, l’Algérie et même la Californie sont désormais à l’avant-garde d’une “renaissance du Cinsault” (source : South African Wine Information).

En définitive, le retour du Cinsault s’inscrit dans une volonté globale de respecter l’histoire locale tout en innovant. Un retour “à la mode”, certes, mais solide, réfléchi et porteur d’une véritable valeur ajoutée pour la vigne du XXIe siècle. À suivre de très près, car le Cinsault, au-delà de son histoire, incarne sans doute l’avenir de bien des vins modernes.

Pour aller plus loin