Frédéric Desamais, acheteur bois Société Vicard (tonnellerie, à droite) expliquait les qualités recherchées sur un arbre, accompagné de Christophe Croisard, vigneron sarthois bientôt acquéreur de fûts de chêne de Bercé et de Pascal Jarret (à gauche), directeur forêt à l'ONF, lors d'une rencontre avec le public organisée en Forêt de Bercé par le musée Carnuta.
Le 17 juin à la Motte-Beuvron, se tenait une adjudication de lots de bois sur pied, mis en vente par l'ONF pour les industries du bois. Une quinzaine d'industriels de la tonnellerie se sont disputé certains lots de la forêt de Bercé, connue jusqu'au Chili ou en Australie comme l'une des trois forêts françaises de chênes qui fournissent les meilleures barriques pour élever des vins.
Une qualité rare qui fait leur valeur
La valeur des chênes de la forêt de Bercé tient aux qualités physiques acquises au long de leur 200 à 250 ans d'existence : ils sont très longs, ayant atteint leur hauteur maximale de 50 m environ tout au bout des branches les plus hautes, de bon diamètre
"ayant poussé régulièrement et pas trop vite" souligne Pacal Jarret de l'ONF, sans défaut, avec un grain fin et un fil rectiligne, ces deux dernières qualités étant très appréciée pour le travail du bois.
Leur valeur tient aussi à leur nature. Ce sont des chênes sessiles (ou chênes rouvres) -sessile parce que le gland est porté sans pédoncule, directement sur la branche, contrairement à son frère le chêne pédonculé. "
Sur le plan qualitatif, les deux essences sont assez proches, mais le bois du chêne sessile est plus "soft", moins riche en tanin mais généreux en arômes. Il convient très bien aux vins quand le chêne pédonculé sera plutôt utilisé pour faire vieillir les eaux de vie (cognac, calva, rhum, etc.)" explique Frédéric désamais, acheteur bois pour la tonnellerie Vicard à Cognac.
Ainsi, les chênes de la forêt de Bercé atteignent régulièrement les 600 à 700 €/m3 dans les ventes aux enchères quand les autres essences ne trouvent plus preneur au dessus de 150 €/m3, quand bien même elles atteindraient les mêmes proportions. L'industrie évolue : "
Qui achète encore des meubles en bois ? Le tranchage a eu son heure de gloire (pour faire du plaqué chêne, des parquets) mais cette industrie a subi la loi de la concurrence internationale. Ainsi, à part la tonnellerie qui reste une spécialité française, le marché du bois est à l'export, vers le Bénélux ou la Chine principalement. Et même pour la tonnellerie, une société comme Vicard, réalise 60 % de son chiffre d'affaire à l'export," constate Pascal Jarret, directeur forêt à L'Office national des forêts, spécialiste du chêne ligérien.
5450 ha
Jusqu'au XVIIe siècle, on pouvait raser la forêt tous les 15 ans pour utiliser le bois de chauffage. Colbert a créé des réserves pour obtenir le bois d'œuvre nécessaire à la construction des bateaux. Les 5450 ha de la forêt de Bercé ont été déterminés à cette époque sur des terrains qui sont loin de former une unité mais qui sont "
favorables juste ce qu'il faut pour une croissance pas trop rapide mais régulière des chênes.Ce qui n'empêche le travail régulier du forestier pour favoriser les meilleurs arbres. Travail qui doit trouver sa rémunération à la fin."
Avec l'ONF, les bénéfices recueillis en forêt de Bercé peuvent être utilisés ailleurs, pour restaurer la forêt méditerranéenne, par exemple. Pour autant, l'ONF conserve "la futaie des clos", une parcelle témoin de huit hectares où les plus vieux chênes dépassent les 300 ans.
Un coteaux du Loir élevé en barrique en bois de Bercé
L'événement local, c'est le vigneron Christophe Croisard, quatrième génération de vignerons sur le domaine de la Raderie qui le crée, en demandant à la société Vicard de lui fournir des barriques exclusivement construites avec du bois de Bercé. "
En Sarthe, les barriques étaient utilisées uniquement comme contenants. Elles étaient faites en châtaignier, abondant sur place, ou en acacia parce que son bois est peu poreux et qu'il ne donne pas de couleur au vin, parfait pour les vins blancs. Il se trouve que j'ai une cuvée de Coteaux du Loir blanc (cépage chenin) qui a été récoltée en 2010 dans des conditions un peu particulières ; elle a donné 35 hl d'un moût (jus) très riche en sucres. La vinification a été conduite naturellement et le vin s'est stabilisé à 12° d'alcool en gardant environ 50 g/l de sucres résiduels. C'est un vin inhabituel et l'idée est venue de valoriser son originalité en l'élevant en fût de chêne ... de la forêt de Bercé," explique Christophe Croisard.
Le résultat ne sera cependant pas connu avant ... un certain temps car "
comme c'est une expérience, nous laisserons le vin évoluer tant que cela lui sera profitable."
Christophe Zapata