Une loi peut avoir l’effet inverse de celui recherché. Depuis le 1er janvier 2019, les remises, rabais, et ristournes sont interdits lors de la vente de phytosanitaires, une mesure issue de la loi Egalim. Objectif : faire grimper les prix afin de réduire l’utilisation de phytos. “Pour le moment, c’est raté, estime Bruno Pichery, directeur Grands comptes chez Bayer CropScience. Le prix de vente à l’agriculteur est en moyenne quasi stable, même plutôt à la baisse. Et de toute façon, le législateur part d’un postulat qui est faux : si l’utilisation des phytos reste élevée, ce n’est pas à cause de leur prix trop abordable. Les agriculteurs en achètent parce qu’ils en ont besoin.”
Des distributeurs tardent
Plus d’un an après la suppression des 3R, il reste difficile d’en chiffrer l’impact sur la facture moyenne. La mesure est intervenue en cours de campagne 2018-2019, marquée par des achats anticipés avant la hausse de la RPD (redevance pour pollutions diffuses) au 1er janvier. Elle n’est entrée pleinement en application qu’à l’automne dernier. Et le gros des commandes intervient à la campagne de printemps, toujours en cours. Quelques distributeurs tardent à respecter la nouvelle loi. “Dans de petites entreprises, des zones de polyculture élevage où l’activité phytos représente peu, le commerce se passe un peu comme avant” la fin des 3R, reconnaît Olivier Bidaut, président de la commission Agrofourniture à la FNA (négoce).
La coopérative des Hauts-de-France Unéal affiche la couleur : offrir “une baisse massive des prix” des phytos. Sa nouvelle politique commerciale consiste à facturer séparément produits et services. Elle applique un prix unique, comme le veut la loi Egalim. Elle anticipe la séparation vente/conseil, prévue au 1er janvier 2021. Résultat, des adhérents prennent uniquement le phyto, sans aucun service.
Dans le centre de la France, le négoce Villemont reste, lui, sur une offre tout compris. “On propose un prix unique, service inclus, qui est calculé sur la moyenne de l’année précédente, explique le directeur commercial Philippe Métivier. Au final, des agriculteurs se retrouvent à payer plus cher. C’est l’inverse pour les clients fidèles, qui ne négociaient pas trop..”
Sujet à interprétation
“Deux stratégies s’affrontent, résume Olivier Bidaut (FNA). D’un côté, la différenciation entre produit et service, qui tire les prix des phytos fortement à la baisse. De l’autre, une offre intégrée avec laquelle ils ont plutôt tendance à monter.” D'après ses estimations, les pesticides deviendraient plus chers de 2 % en moyenne, mais en tenant compte de la hausse de la RPD. L’agriculteur en sortirait perdant et le distributeur guère mieux.
“L’interdiction des 3R n’a pas encore fait l’objet de contrôle dans les entreprises”, signale François Gibon, directeur du groupement des syndicats du Négoce Agricole Centre-Atlantique. Des points restent sujets à interprétation, selon lui. Exemple, le changement de tarif en cours de campagne est possible, “à condition qu’il n’y ait pas de contournement indirect de la loi”.
Aux Etablissements Villemont, le directeur commercial préfère maintenir le prix unique sur une grande partie de la campagne. “Sauf à pouvoir justifier tout ajustement : un tarif fournisseur plus élevé, des frais de stockage”, déclare Philippe Métivier, qui s’y est risqué une seule fois pour certains produits en mars, à la morte-saison. “Tous les distributeurs sont inquiets du premier contrôle qui va arriver. C’est là que chacun verra s’il a vu juste sur les pratiques autorisées ou non.”
“C’est au premier contrôle que chacun verra s’il a vu juste sur les pratiques autorisées”