Publié le
Vendredi 14 novembre 2014

G. Garot : "Quand un agriculteur produit c'est pour nourrir, pas pour jeter"

Guillaume Garot : "Il faut sortir des logiques de surconsommation. Quand un agriculteur produit, c'est pour nourrir, pas pour jeter."
Guillaume Garot : "Il faut sortir des logiques de surconsommation. Quand un agriculteur produit, c'est pour nourrir, pas pour jeter."

Guillaume Garot, député PS de la Mayenne et ancien ministre délégué à l'Agroalimentaire, a une mission parlementaire sur le gaspillage alimentaire. Il a six mois pour rendre des propositions.

Il y a un an et demi, vous lanciez le pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Où en est-on ?


Il y avait deux choses : 11 mesures, qui étaient un engagement de l’Etat. Et le Pacte, un engagement de plusieurs partenaires, et réciproque, avec les associations, la distribution, les industriels, les producteurs, etc. Le but du pacte était d’enclencher un processus dynamique, un mouvement pour préparer la suite. La majorité des mesures sont remplies. Pour celles en passe de le devenir : la mention DLUO remplacée par "A consommer de préférence avant" devra s’appliquer au 1er janvier 2015.

Comment allez vous procéder pour votre mission parlementaire ?


Je veux co-construire ces propositions avec les acteurs de la lutte contre le gaspillage : producteurs, transformateurs, grande distribution, associations de consommateurs, de solidarité, de protection de l’environnement, et associations locales. Je veillerai aussi à ce qu’il y ait une plateforme internet pour que les citoyens apportent leurs idées. La lutte contre le gaspillage c’est un choix de société. Quand un agriculteur produit, c’est pour nourrir, ce n’est pas pour jeter.

Vous parlez de “produire autrement” ?


Ça concerne l’agriculteur comme l’industriel. Montrer qu’on peut par exemple économiser l’eau. C’est aussi être dans une démarche agroécologique, valoriser l’ensemble de la production dans tous les circuits agroalimentaires. J’attends aussi des propositions des fédérations professionnelles.

On parle beaucoup des fruits et légumes. Et pour les autres productions ?


C’est différent, mais la lutte contre le gaspillage concerne toutes les productions agricoles, végétales et animales. Je veux vraiment associer les professionnels, ce sont eux qui me diront s’ils gaspillent ou non. Au Sial j’ai rencontré l’industrie laitière : ils avaient le sentiment de bien maîtriser les processus industriels. Il y a eu tout un travail pour limiter les pertes, notamment sur le lait infantile. Il y a aussi les coproduits : s’il faut étendre leur utilisation très bien, mais c’est aussi par l’innovation qu’on va trouver de nouvelles utilisations et de nouveaux écoproduits.

Pour la distribution, vous parlez d’améliorer la fiscalité sur le don ?


Oui c’est une piste. Il faut inciter à donner plutôt que jeter. Mais je ne voudrais pas que le contribuable finance la prétendue générosité du distributeur. Il faut trouver le bon équilibre : être dans l’incitation sans que ce soit un effet d’aubaine pour le distributeur, qui reçoit déjà des financements publics importants dans le cadre du CICE par exemple.

Pourquoi ne pas vouloir légiférer sur les dons des GMS aux associations ?


L’obligation de don ça peut être la fausse bonne idée, ça peut se retourner contre la responsabilisation. Les associations préfèrent un système de convention, volontaire, à une obligation qui dédouanerait aussi la grande distribution, et qui trouverait une gestion de ses stocks “plus morale” que le fait de jeter.

Des enseignes retirent des produits six jours avant la date limite. Cela génère du gaspillage. Peut-on agir contre cela ?


Les enseignes me disent que ce n’est plus vrai. Mais il y a des initiatives d’entreprises sociales, comme Zéro gâchis (vendre moins cher quand on s’approche de la date de péremption). De plus en plus de grandes surfaces font appel à son savoir-faire, notamment technologique pour une gestion la plus fine possible des stocks et des dates de péremption. Il y a une technique très au point, c’est d’autant moins de perte pour la grande surface. Il faut aussi que nous-mêmes comme consommateur, on change notre regard sur l’acte de s’alimenter et sur l’acte d’achat.

Dans le PLTECV (1), l’amendement de Brigitte Allain (EELV) pour supprimer la DLUO (2) a été rejeté pourquoi ?


Pour être responsable le consommateur a besoin de points de repères. Il faut une date pour savoir jusqu’à quand le produit conserve toutes ses qualités. Il y a une attente très forte d’information sur la nourriture. Si on supprimait la DLUO on distendrait le lien de confiance entre les consommateurs et leur alimentation. Et la question n’est pas celle de la date elle-même, mais du comportement du consommateur vis-à-vis de cette date.

La formule "à consommer de préférence avant" peut-elle changer ?


C’est la traduction française d’une réglementation européenne, du "best before". Mais on peut très bien imaginer une autre traduction : "meilleur avant" par exemple. Mais il est vrai que des produits comme les pâtes par exemple peuvent se garder longtemps… J’ai mangé un paquet de pâtes retrouvé au fond du placard, la date limite était dépassée depuis 2008, et je suis en parfaite forme !


Lors du conseil des ministres européens de l'Agriculture en mai, six pays ont proposé de supprimer la DLUO. Qu'en pensez-vous ?


Oui pour la remplacer. Mais le débat est loin d'être tranché pour sa suppression.La suppression de toute référence de date est pour moi problématique. Travaillons plutôt sur la meilleure information possible du consommateur, pour éviter de jeter.

C’est le fabricant qui détermine sa DLC (2). Comment être sûr que la marge de sécurité reste raisonnable ?


Je défendrai toujours le principe de la sécurité sanitaire. On a un système de sécurité, comme de traçabilité, qui est une référence pour le monde entier. Il n’est pas question de revenir là dessus, la DLC fait partie de cet arsenal. Après, il faut discuter avec les industriels pour vérifier qu’on est sur une DLC raisonnable, et qu’on n’est pas simplement sur une incitation effrénée à la consommation. J’en rediscuterai avec eux, on verra jusqu’où ils sont prêts à aller.

Pour Tristram Stuart (3), le gaspillage a cet avantage qu’il peut être stoppé


Oui ça procède d’une volonté humaine. En un an et demi, le paysage a changé. Partout où nous avons lancé des actions sur le terrain, les résultats sont très rapides. Une étude de l’Ademe a montré qu’en deux semaines on réduit par deux le gaspillage par des gestes simples. Aujourd’hui 30 % de la production agricole mondiale sont perdus. Dans les pays en voie de développement, certaines récoltes sont laissées sur place parce qu’on ne sait pas stocker, transporter ou transformer. La France a un rôle à jouer pour que la lutte mondiale contre le gaspillage soit un objectif de politique international. Je veux aussi travailler avec la FAO, qui est très attentive à ce qu’on fera en France.

Propos recueillis par Julie Vandard

(1) Projet de loi Transition énergétique et croissance verte

(2) DLC : date limite de consommation (à consommer jusqu'au). DLUO : date limite d'utilisation optimale (à consommer de préférence avant). 

(3)Tristram Stuart, surnommé “le pape” de la lutte anti gaspillage, auteur de Global gâchis.

[Edit 14 novembre ] La plateforme participative a été lancée ce 14 novembre : http://lutteantigaspi.tumblr.com

Julie Vandard

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