Lorsque l’on demande à l’homme de la ville la façon dont il perçoit l’agriculteur, deux discours parallèles et contradictoires se bousculent dans son esprit. D’un côté transparaît un langage non raisonné, "affectif", qui nie les évolutions considérables de la profession d’agriculteur depuis une trentaine d’années. De l’autre se développe un langage nettement plus rationnel où l’agriculteur, loin d’être "rétro", jovial, tout sourire sur son exploitation, est plutôt décrit comme un technicien, un chef d’entreprise crispé et endetté. Entre ces deux extrêmes, un "vide d’image", une absence de portrait intermédiaire entre le "paysan" et le presque PDG qui, en 1985, entretiennent toujours la méconnaissance réciproque du milieu urbain et du milieu rural.
Telle est la conclusion d’un cabinet de conseil en communication, — W.S.A — qui a analysé les réactions de trois groupes de citadins, caractérisés par leurs attaches plus ou moins fortes au monde des agriculteurs. […]
L’agriculteur : un déraciné déracineur ?
Dans cette enquête, les revendications, les manifestations (relayées par les médias apparaissent singulièrement comme le langage des agriculteurs, le tout faisant écho aux aides qui leur sont allouées. (...) L’agriculteur est alors considéré comme peu capable de s’adapter, inefficace dans son travail, souvent mécontent. Dans le meilleur des cas, c’est l’image d’un homme jeune et désireux de s’informer, mais endetté, crispé et soucieux que renvoient les fils et filles d’agriculteurs.
Cette impression se double du sentiment diffus chez le citadin que l’agriculteur, pour construire son avenir, est obligé de "démolir" le patrimoine commun, à savoir la terre et le paysage. Et cette agression subie par la nature constituerait par là même une atteinte aux racines ultimes du citadin. Ainsi l’agriculteur, qui déjà n’appartient plus à la terre, apparaît-il comme un "déraciné déracineur", pour reprendre l’expression du cabinet W.S.A.
La situation cependant n’est pas figée : l’homme de la ville demande à l’agriculteur une prise de conscience rapide quant à son rôle en regard de la nature, et l’élaboration d’une réflexion déterminant le sens profond de la production, du productivisme, de la rentabilité… Finalement le monde agricole ne doit plus se laisser communiquer par les médias et la publicité. Et d’ailleurs, les messages destinés à un public d’agriculteurs ne le présentent-ils pas comme un technicien dynamique et compétent ?