Le samedi 9 décembre 2000, à Evron, je vivais mon baptême de l’élevage au concours d’animaux de viande. Le maire, Michel Nicolas, me glisse à part : "J’ai un scoop ! Il y a probablement un cas d’ESB au laboratoire." On ne parlait que d’une chose : de la deuxième crise de l'ESB, redémarrée en octobre. Fin février 2001, on abattait un troupeau d'ovins du Nord Mayenne atteint de fièvre aphteuse. La Mayenne devenait le centre d’attention des médias nationaux. L'Avenir agricole a même reçu un appel d’un grand magazine allemand qui demandait une photo du président de la FDSEA ! Voilà mes débuts de journaliste agricole.
La création du journal remontait au 8 décembre 1944, et même bien avant sous une autre forme. Je suis arrivé le 7 décembre 2000, il y a pile vingt ans. Mille numéros. Et le journal ferme en décembre 2020. Hasard des dates, ironie de l’histoire, qui n’a que faire des sentiments.
Les journalistes ont à cœur de témoigner des événements, de donner la parole aux gens, pour la partager aux lecteurs. Souvent, ils s’effacent derrière les mots. Pour cette dernière page, du dernier journal, je me permets de me mettre en scène pour donner du corps à l’équipe qui faisait exister ce journal.
Non issu du milieu agricole, j’y suis resté, parce que j’y ai découvert des gens investis, des connaissances riches à partager. Combien de fois lors d'interviews sur le métier ai-je entendu : "C’est une passion !" J'éprouve une certaine admiration pour vous, agriculteurs-ices, qui exercez une incroyable palette de métiers : éleveur, agronome, mécanicien, comptable, mais aussi commerçant, vétérinaire, etc. Souvent s’y ajoutent des responsabilités associatives ou d’élu. Je vous tire mon chapeau. Il y a des aspects qui m’ont plus gêné : les querelles de clocher, les calculs syndicaux... mais qui font aussi partie de l'actualité.
Ecolo ou productiviste ?
La rédaction a eu à cœur de donner la parole à tous, pour faire vivre le débat et parce que les lecteurs étaient avant tout polyculteurs-éleveurs. La carte d'un parti n’est pas liée à la couleur de la vache... Mais dans l'esprit de certains, le lien passé avec la Cam a marqué. Nous étions indépendants. Parfois, on nous accusait d'être écolo ; d'autres fois, de servir la soupe à l'agriculture productiviste : oui, nous parlions de ces sujets, et nous étions au milieu de ces débats.
On ne peut pas évoquer l’histoire du journal sans évoquer les rapports ambigus entretenus avec les FDSEA. Comme tous mes collègues, je suis arrivé vierge d’histoire agricole, mais l’histoire est ancrée, et nous avons donc hérité des conflits anciens. Nous entretenions des relations cordiales avec les responsables des FDSEA en général, sauf en Sarthe où c'est resté tendu. Au pouvoir ou en contre-pouvoir, le syndicat fait l'actualité. Mais les enjeux nous dépassent parfois. La régionalisation de l'Avenir a été mal accueillie par les FDSEA locales, qui éditaient leur propre publication départementale. Sur le terrain, certains reporters du journal ont été rejetés de rendez-vous de chambres d’Agriculture, en théorie ouverts à tous, parfois en plein champ, parfois devant d'autres journalistes [voir ci-contre]. Triste mélange des genres. Par la suite, nous avons connu des périodes de détente où le syndicat nous invitait, puis finalement non, puis oui...
AnecdotesSi l'heure n'est pas à la rigolade, regarder dans le rétro rappelle combien notre métier est passionnant, tout comme l'est l'agriculture. On a assisté à des moments d'émotion comme les larmes d'éleveurs qui gagnent un concours pour la première fois. Les manifestations marquent les reporters par leur mise en scène savamment pensée (ah, les tas de pneus au lisier...). Au-delà de ces événements, le journal se voulait créateur de liens, témoin de la vitalité des campagnes, diffuseur d'initiatives. On se souviendra de rencontres fortes, comme cette jeune fille et sa mère qui ont repris les concours de vache, en mémoire de leur père et mari décédé. Ou encore des agriculteurs pionniers qui cherchent — et trouvent — sur des techniques culturales innovantes ou des tracteurs à l'huile de colza, qui osent tout seul ou partagent à plusieurs, etc.
Des échanges cocasses : cet éleveur à Evron qui finit par confier que sa grande championne est une croisée... parce que le taureau du voisin, d'une autre race, était passé par-dessus la barrière ! On relate souvent les difficultés du métier, mais c'était un plaisir de titrer : "Etre paysan, c'est top !" ou "Nous sommes des agriculteurs heureux" (2003). Et comment ne pas ressentir de la fierté quand un chercheur me remercie d’avoir su vulgariser sa découverte sur la tendreté du steak, alors que les médias parisiens avaient "tout déformé". Ou le sentiment d'avoir été utile quand un article a permis à une jeune étudiante désarmée de trouver enfin des maîtres de stage.
Chacun de nous aurait des anecdotes de ce genre à partager... C'était la richesse de l'Avenir agricole.
Investis jusqu'au bout
Si je suis le plus ancien des journalistes, Sylvie Taburet détient le record de longévité dans l’entreprise : 38 ans, en décembre également. C’est elle qui vous répondait au téléphone avec son invariable bonne humeur. J’en profite pour présenter l’équipe, une dernière fois. La direction était assurée par Lucie De Castro depuis un an ; elle a eu la lourde tâche de reprendre la suite de Michel Guillet, décédé brutalement en avril 2019. Le service de la publicité était composé d’Emmanuelle Pattier et de Sonia Rivron. Les journalistes représentaient le gros de l’effectif : la secrétaire de rédaction Julie Vandard, et les rédacteurs Frédéric Gérard, Antoine Humeau, Christian Evon, Sabine Huet. Depuis le départ de Nathalie Barbe, nous sollicitions deux pigistes réguliers en Sarthe : Yanne Boloh et Daniel Denos. Depuis deux mois, Julie Reux était également en renfort à la rédaction. A la comptabilité officiait Myriam Cottin, déléguée par un groupement d’employeurs. Ils ont porté le journal à bout de bras, surtout depuis le décès de Michel Guillet.
Merci.