Publié le
Vendredi 19 avril 2013

“Si les agriculteurs ne s’occupent pas de la ville, la ville s’occupera d’eux”

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) la préconise pour résoudre l’équation de la sécurité alimentaire : l’agriculture urbaine est en passe de conquérir les villes du monde entier. À Singapour, l’État finance jusqu’à 50% les coûts d’installation pour les toits et les murs végétalisés. New York accueille la plus grande ferme perchée du monde. Au total, 700 millions de citadins ont déjà recours à l’agriculture urbaine pour se nourrir, selon la FAO. Autrement dit, un succès en marche. Et attendu : en 2050, 80% de la population vivra en ville. Mais, si ce nouveau mode de production commence à séduire les cités du Vieux continent, il peine à s’imposer en France. À Barcelone, parmi les plus avancées en la matière, l’agriculture urbaine et périurbaine contribue à environ 10% de la part alimentaire de la ville. De façon optimale, il serait possible d’aller jusqu’à 15-16, voire 30%, selon Serge Bonnefoy, secrétaire technique de l’association Terres en villes, lancée en 2000 par des élus intercommunaux et des responsables agricoles. On est encore loin de ces considérations en France, où agriculture et ville peinent à s’accorder : Grenoble par exemple, et sa centaine de communes alentours, assurent seulement 3% de la part alimentaire de l’agglomération. Et pourtant, elle est l’une des plus spécialisées dans le domaine. Des résistances s’agrègent. L’agriculture urbaine, est-ce bien de l’agriculture? À l’occasion d’un colloque sur “L’agriculture urbaine, une agriculture dans et pour les villes”, organisé le 8 avril à Paris, la Société des agriculteurs de France (SAF) et l’association Orée, qui réfléchit sur “les meilleures­ pratiques environnementales”, ont tenté d’apporter un éclairage sur cette pratique émergente. Et certains des interlocuteurs d’alerter : “Les agriculteurs, qu’ils le veuillent ou non, s’ils ne s’occupent pas de la ville, la ville s’occupera d’eux”, a prévenu notamment Serge Bonnefoy.


Souvent considérée comme une activité de “ plantage”



À Grenoble, c’est le refus de la part d’une ville nouvelle qui a donné lieu à la création, en 1974, de la première commission agricole intercommunale de France. Le désamour ne date pas d’hier. Mais agriculture et urbanisme ont la particularité de s’être fait réciproquement avancer. À chaque évolution des lois sur celui-ci correspondent souvent en effet des évolutions des lois sur celle-là, en contrepoids. “Ça n’est pas un débat sans tension”, a confirmé le représentant de Terres en villes. À l’origine, c’est un problème de définition, selon lui : l’agriculture urbaine a longtemps été perçue et représentée comme le contre modèle de l’agriculture productiviste. À la fin des années 90, les céréaliers de l’Île de France ne voulaient pas entendre parler d’agriculture périurbaine, note-il. Or, aujourd’hui, la plupart des agglomérations françaises sont céréalières. “Cette tentative de définition a créé des tensions incroyables avec le milieu professionnel agricole qui ne voulait pas considérer que l’on puisse appeler agriculture, une activité qu’ils qualifiaient de “plantage”, de jardinage”. Seulement, urbanisme et agriculture ont aujourd’hui des enjeux communs qui, progressivement, semblent les rapprocher. Tout d’abord, l’agriculture urbaine et périurbaine permettent de lutter contre l’étalement urbain. Elles tiennent la ville, servent à organiser le territoire et à concilier activités humaines et écosystème territorial. Les villes sont, elles, rendues attractives par leurs aménités vertes et répondent ainsi aux besoins de “vert” en ville. Ces nouvelles pratiques contribuent aussi à préserver la biodiversité et à développer, ce qui est aujourd’hui reconnu par toutes les politiques, les circuits courts. “L’autre enjeu émergent, c’est la sécurité alimentaire de la ville, poursuit Serge Bonnefoy. Les actions les plus nombreuses sont encore celles de valorisations des aménités, mais durant ces cinq dernières années, tout ce qui est de l’ordre alimentaire a pris une place prépondérante”.



“Ne pas oublier les couloirs de Bruxelles”



Mais, malgré les avancées, des tensions persistent : “Le rêve des agriculteurs, c’est d’avoir un champ de colza sans être embêtés par les citadins. Et ceux qui sont favorables à l’agriculture périurbaine, imaginent un collier de nature sans agriculture”, a observé Serge Bonnefoy. Par ailleurs, les élus peinent à convaincre sur les capacités à protéger durablement les espaces agricoles. Le foncier peut aussi poser problème : “Cela peut être une bagarre d’agriculteurs-propriétaires, en fin de carrière, qui estiment qu’en “surdéfendant” la zone agricole, on leur fait perdre beaucoup d’argent”. Les tensions sont aussi liées à ces endroits où l’ont défini des projets sans agriculteur. Un modèle dénoncé – “vu par les urbanistes et des architectes hors sol”. Quelle accessibilité aux exploitations agricoles ? Pour quelle production ? L’agriculture périurbaine a-t-elle réellement un avenir ? L’enjeu essentiel désormais est de quitter la niche pour aller vers le segment de marché. Pour ce faire, Serge Bonnefoy préconise “de ne pas oublier les couloirs de Bruxelles”. Le président de la Saf, Laurent Klein, a rappelé de son côté l’urgence à inventer de nouvelles formes de production et de socialisation des territoires : “À l’heure où les scandales alimentaires en tous genres replacent l’éthique et le “consommer bon et local” au centre des préoccupations, le monde rural doit absolument libérer la créativité et l’imagination qu’attendent les 80 % de consommateurs désormais citadins”. Et cela pourrait même se faire sans lui. Selon Dominique Barreau, chef de projet Agriculture périurbaine à Nantes métropole, “pour le moment les élus cherchent à convaincre, mais demain leur action pourrait être plus radicale”.



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